Nous vous avons l’an passé (1) parlé des fêtes du nouvel an, telles qu’elles se déroulaient encore dans les années 80 dans nos villages Isan, il y a près de 35 ans. Les choses ont bien changé.
Qu’en était-il quelques dizaines d’années auparavant ? Nous devons cette description au grand écrivain que fut Anuman Rajathon (2) qui a recueilli des traditions vieilles de plusieurs dizaines d’années (il écrit en 1954).
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Le premier jour, sitôt effectuées les offrandes de nourriture du matin aux moines, tout le monde, en particulier les garçons et les filles du village se hâtent de rentrer chez eux pour revêtir des habits neufs et se faire une beauté.
Ils vont alors dans les bois cueillir des fleurs sauvages à offrir à Bouddha pour le jour de l’an. Il s’agit de cassia fistula (ต้นคูน ton khoun)
et de pterocarpus macro-carpus (ประดู่ ton pradou),
deux arbres qui fleurissent à cette époque en donnant de très belles grappes de fleurs jaunes, c’est la « floraison du nouvel an ». Les jeunes s’en vont ainsi par groupe de cinq ou six, garçons et filles, en chantant, en plaisantant et probablement en batifolant.
Leur cueillette faite, ils se rendent au temple, garçons d’un côté et filles de l’autre, assis et prosternés, les mains jointes tenant des bouquets à la hauteur du front. Les groupes des garçons et des filles psalmodient ces formules magiques :
พิษฐานเอยมือหนึ่งถือพานพานแต่ดอกอ้อเกิดชาติใดแสนใดขอให้ได้คน
(phitsathan oei muenueng thue phanphan taedokokoetchatdaisaendaikhohaidaikhon)
Je prononce ces vœux en tenant d’une main une coupe d’offrande (ou un plateau sur pied) remplie de dok-o (3) …. Pour n’importe quelle vie (cette vie, l’autre vie ou toutes les vies) je prie au dieu de me donner un homme (une femme) pour qu’il (elle) vive avec moi.
... Et ils continuent
พิษฐานวานไหว้ขอให้ได้ ดั่ง พิษฐาน เอย
(phitsathan wanai khohai daidangphitthanoei)
Je prononce ces vœux en rendant un culte aux Dieux pour qu’ils réalisent mes voeux.
Et les garçons terminent :
พิษฐานเอยมือหนึ่งถือพานพานแต่ดอกรักเกิดชาติใดแสนใดขอให้ได้ คนชื่อพักตร์
(phitsathanoeimuenuengtuephanphantaedokrak
koetchatdaisaendaikhohaidaikhonchuephak)
Je prononce ces vœux en tenant d’une main une coupe d’offrande (ou un plateau sur pied) remplie de dok-rak (4)… Pour n’importe quelle vie (cette vie, l’autre vie ou toutes les vies) je prie au dieu de me donner une femme dénommée Phak pour qu’elle vive avec moi…
Les fleurs sont alors offertes à Bouddha, sans bougies ni bâtonnets d’encens, ce qui est un usage tardif.
Une fois les oraisons terminées, les jeunes vont se mettre à l’ombre des arbres du temple pour s’y divertir et jouer, jusqu’à midi, l’heure du dernier repas que les moines sont autorisés à prendre, et continuent l’après midi.
Il y a en général chez les filles une plus âgée et plus instruite qui va dans le village battre du tambour pour inviter tous les garçons à rejoindre la fête. Jeux et danses se poursuivent ainsi jusque tard dans la nuit à la lumière des torches. Autrefois, les querelles d’ivrogne éraient rares et lorsqu’elles survenaient, les anciens du village y mettaient vite le holà. Ces festivités duraient en général trois ou quatre jours, parfois beaucoup plus, interrompues parfois par la pluie et toujours par la nécessité de retourner un jour ou l’autre aux travaux des champs.
Autrefois encore, les forêts étaient proches des villages, on pouvait en moins d’une demi-heure de marche aller cueillir les fleurs. Malheureusement, l’extension des terres agricoles a fait qu’elles reculent de plus en plus, qu’il faut plusieurs heures de marche et aller en voiture fait perdre tout son charme à cette coutume qui est maintenant sur le déclin.
La tradition veut enfin que les cadets de chaque famille versent un peu d’eau aromatisée sur les mains de leurs ainés en gage de respect. Cette tradition se perpétue encore au sein même de la sphère familiale,
et elle ne semble pas avoir totalement disparu.
Les cérémonies dans le nord-est, nous apprend Anuman Rajathon étaient à peu près similaires. Il s’agissait alors d’une fête exclusivement religieuse qui donnait peut-être lieu à naissance de quelques amourettes
mais en définitive d’une grande sobriété.
Les choses ont bien changé.
Nous remercions chaleureusement notre ami Rippawat Chirapong pour sa traduction et ses photographies.
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Notes
(1) Notre article A 103 « Songkran, le nouvel an thaïlandais, entre tradition et modernité. »
(2) Journal de la Siam society, volume 42-1 de 1954. « Amusements during Songkran festival ».
พระยาอนุมานราชธน Phraya Anuman Ratchathon (14 décembre 1888 – 12 juillet 1969) est un autodidacte, anthropologue et ethnographe devenu une autorité sinon l’autorité en matière de culture populaire thaïe. Il a été le premier chercheur thaï à procéder à une étude sérieuse des folklores en prenant une foule de notes dans les villages. Il fut de 1951 jusqu’à ses dernières années un collaborateur prolifique du journal de la Siam Society.
(3) Calotropis gigantéa.
(4) Arudo donax « dok rak » « la fleur de l'amour » est évidemment le symbole de l'amour !
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Jacky 14/04/2014 06:25
grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-b 14/04/2014 10:09