Nous avons, dans notre article sur les voyages du roi Rama VII, regretté que ceux-ci n’aient pas eu dans la presse française les développements qu’ils méritaient (1). Le roi du Siam et son épouse se sont rendus en visite privée à Paris en avril 1934 mais peu en parlent. C’est dans la presse Indochinoise qu’il nous fallu apprendre que le monarque avait été accueilli à Paris par Paul Claudel lui récitant un poème en siamois. Le roi est allé à la rencontre d’ « intellectuels » en Europe, disent les versions officielles ? En France, il était bien tombé !
Non, ce poème, vous ne le trouverez dans aucune édition des œuvres complètes de ce difficile auteur. Nous l’y avons cherché en vain y compris dans la récente édition de la belle collection « la Pléiade ».
Dans quelles circonstances fut-il amené à versifier en siamois et comment avons nous été assez heureux pour le dénicher ?
Nous avons eu le bonheur de trouver un compte rendu de cette royale visite et de ce poétique accueil dans « Chantecler », un venimeux journal satirique paraissant alors à Hanoi depuis 1932 et disparu avant la tourmente de la guerre, à la fin de 1939 (2). « Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle » (3).
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Les souverains du Siam à Paris
Le Roi et la reine du Siam sont arrivés à la gare de Lyon, où ils ont été reçus par de nombreux frères siamois, venus les acclamer. Parmi des derniers, nous avons noté des personnalités de premier plan, MM Tardieu-Herriot, Blum-Cachin, Bonnaure-Garat, Daudet-Maurras, etc. Deux charmantes soeurs siamoises, Mmes Sorel-Minstinguett, portaient des fleurs.
Le poète Paul Claudel, a récité, en siamois, les vers suivants, qu’il avait composés spécialement pour les illustres visiteurs….. et qu’il a lus, accompagné par les deux ronrons de deux jolies chattes…. Siamoises naturellement :
« Siam…Siam…Siam…
« Bour et Bour et ratagram,
« Pique et pique et colégram,
« J’aime mieux le madapolam,
« Que le macadam d’Amsterdam,
« Am, Stram, Gram ! »
Vivement touché, le roi a répondu en excellent français qu’il a fallu traduire à Monsieur Paul Claudel.
Apres quoi le souverain a remis les insignes de son ordre aux assistants. MM Tardieu-Herriot lui ont fait le coup de la bombe et de la main sur le cœur. MM Bonnaure-Garat, le coup du portefeuille, et Monsieur Doumergue, arrivé sur le tard, le fameux coup de la trêve.
Le roi et la reine du Siam, qui n’avaient jamais tant ri, se sont déclarés enchantés de leur visite.
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On trouve souvent dans « Chantecler » la signature de l’académicien Charles Bargone alias Claude Farrère.
Cet écrivain lyonnais exotique, orientaliste et prolifique, admirateur et ami de Pierre Loti, marin comme lui,
opiomane, ami de Pierre Louys, inégalable auteur érotique,
islamophile convaincu, titulaire du prix Goncourt en 1905 (« les civilisés », une histoire semi érotique indochinoise) aujourd’hui bien oublié est l’exact opposé du très vertueux et du très mystique Claudel. Les deux hommes ne s’estimaient guère. Farrère battit largement Paul Claudel aux élections académiciennes de 1935 sous le regard haineux de François Mauriac
et celui, bienveillant, de Charles Maurras
et de Pierre Benoit.
Claudel (ce grand chrétien) publia dans un article du Figaro des lignes bavant la haine. Réponse « du berger à la bergère » ? Cet article n’est pas signé, mais tout laisse à penser qu’il est de Farrère qui règle avec Claudel ses comptes avec une plume trempée dans du jus de mancenillier.
N’épiloguons sur le style de Claudel qui, diplomate, vécut 20 ans en extrème-Orient et dont l’écriture est à tout le moins difficile à comprendre pour un esprit éclairé, son « poème en prose » « Bouddha », publié en 1899 est un modèle du genre abscond. Il faut effectivement souvent non pas tousser mais être pris d’une quinte de toux pour le comprendre.
Ne nous attardons pas sur les rapports pathologiques entre Tardieu ....
....... et Herriot
à l’époque du « cartel des gauches »
ni sur ceux non moins pathologiques entre le socialiste Léon Blum
et le communiste Marcel Cachin,
le « front populaire » n’est pas encore là.
Les rapports de Cécile Sorel et de Mistinguett ne sont pas pathologiques mais saphiques et faisaient alors la joie de la malveillante chronique mondaine parisienne.
Rappelons la lourde implication de Bonnaure, avocat, député de Paris, escroc,
et de Garat, député maire de Bayonne, escroc lui aussi,
dans le scandale Stavisky.
Et enfin, une lourde allusion à la vaine « politique de la trêve » du Président du Conseil Doumergue, un mot qu’il avait inventé pour justifier qu’il ne pouvait rien faire au sortir de l’épouvantable crise politique de février 1934.
On a dit de lui, Léon Daudet, que dans une démocratie bien organisée il serait tout au plus juge de paix en province.
L’allusion au madapolam, une toile en mousseline fabriquées aux Indes et destinée à voiler les femmes,
et au macadam d’Amsterdam nous semblent viser sournoisement la vie privée de Claudel qui ne fut pas toujours exemplaire !
Un peu d’humour, fut-il grinçant ne messied pas dans l’histoire austère et pathologique des rapports entre la France et le Siam.
Notes
(1) Notre article 183 « Le roi Rama VII, un grand voyageur ».
(2) Numéro du 21 octobre.
(3) C’est de Paul Claudel lui-même (« Le soulier de satin » première journée, scène 1).
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Alain T. 28/05/2015 04:04
grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-b 28/05/2015 10:30