Au fil de « notre histoire de la Thaïlande », nous avons présenté la place et le rôle des principaux acteurs du pays, à savoir : les royalistes, les militaires, les hommes politiques et leurs partis, les fonctionnaires, les paysans, les étudiants, mais nous n’avions que peu évoqué les ouvriers et ce que pouvaient représenter les syndicats. Ce sera chose faite avec l’aide de l’article de Jean Baffie et Xavier Oudin, intitulé « Travail, ouvriers et syndicats en Thaïlande », consacré surtout à la période des années 70 - 90. *
L’article commence en rappelant que : « La Thaïlande a connu un développement remarquable de son économie, avec une croissance annuelle moyenne de plus de 7% par an depuis un quart de siècle, croissance qui a dépassé 10% à la fin des années 80. Le niveau de vie moyen s’est considérablement amélioré (presque multiplié par 4). Pendant cette période, les structures sociales du pays ont été profondément modifiées, notamment la composition de la force de travail. Il est indispensable de connaître les caractéristiques de la population active pour comprendre le contexte dans lequel se situe le mouvement ouvrier.»
Le contexte.
On remarque une industrialisation rapide avec une transition démographique rapide. La fécondité chute (passe de 6,3 % d’enfants par femme en 1965 à 2,5% en 1989). « La croissance de la population totale passe de 3% par an en moyenne entre 1960 et 1970 à 1,9% entre 1980 et 1990 … avec une croissance forte de 4% par an de la population active.
1ère conséquence : la population active a doublé passant de 16 millions à 32 millions entre 1970 et 1990. L’agriculture a absorbé la moitié des nouveaux arrivants ; Passant toutefois de 80 % de la population active en 1965 pour arriver à une proportion de 62 % en 90.
Tableau de la main d’œuvre non agricole permettant de constater les changements importants du pays entre 1970 et 1990. (Sources Ourdin, 1994) :
1/ Agriculture : 12,581 millions en 1970 ; 19,842 millions en 1990.
2/ Industrie et BTP : 1,086 en 1970 ; 4,289 en 1990.
3/ Services : 1,421 en 1970 ; 3,796 en 1990.
4/ Commerce : 1,152 en 1970 ; 3,039 en 1990.
On peut ainsi observer que le secteur secondaire (Industrie et BTP) a quadruplé en 20 ans, que les services ont plus que triplé, et que le commerce a presque triplé.
Si l’exploitation agricole repose essentiellement sur l’exploitation familiale ; ailleurs on comptait en 1970, 1 million de salariés dans le secteur non agricole (y compris la fonction publique) soit 6 % de la population active, pour passer en 90 à 6 millions (dont 2 millions de fonctionnaires) soit 18 % de la population active (80 % env. dans les pays développés à la même période), en sachant que les formes du salariat sont évidemment ici très différentes de l’Occident. (Beaucoup sont sans contrat, sont payés à la pièce, avec les réglementations peu respectées (salaire minimum, durée du travail, congés payés, sécurité sociale)).
Beaucoup d’emplois précaires et de saisonniers (surtout les agriculteurs à la saison sèche) avec 2 millions et demi sur un peu plus de 4 millions de salariés (2 millions secteur privé, 2 millions secteur public) ; la « classe ouvrière » en fait ne compterait donc que 1 million de personnes (soit 3% de la main d’œuvre totale).
Les non-salariés sont encore nombreux (artisanat, petits commerces, restaurants, sous-traitance (Beaucoup dans le secteur du textile) (évalué environ à 1 million comme les ouvriers). Les non-salariés n’ont évidemment pas de syndicats et subissent tous les abus.
L’expansion de la main d’œuvre ouvrière a été surtout due aux femmes rurales, principalement dans le textile, l’agro-alimentaire, la bijouterie, l’horlogerie et même dans l’industrie et la construction, où leur nombre a été multiplié par 10 entre 1970 et 1990 (les hommes par 5), pour représenter 40 % de ce secteur. Si cette féminisation de la main d’œuvre a forcément eu des conséquences sur le mouvement syndical, le faible niveau d’éducation des hommes (2/3 n’ont pas terminé le cycle primaire) a également joué. Le contexte de plein emploi a favorisé la mobilité et donc freiné les investissements dans la formation et maintenu les bas salaires. (Le salaire moyen était en 1991, de 4.200 baths pour les hommes et de 3.100 baths pour les femmes.)
Le mouvement syndical.
Le mouvement syndical a une histoire brève et ceci d’autant plus – comme nous l’avons constaté nous-même -, que les syndicats ont été interdits et le droit de grève supprimé lors des nombreux coups d‘Etat, et aussi parce qu’ils ont été mêlés aux luttes politiques à d’autres périodes plus «libres» comme celles de 1946-1957, 1972-1976, et 1979-1985.
Baffie et Oudin nous rappelle que les différents gouvernements dès le XIXème siècle ont toujours privilégié l’immigration chinoise pour les travaux non-agricoles (que nous avons d’ailleurs traité maintes fois). Au milieu des années 1930, les Chinois constituaient 70% des travailleurs et ils étaient encore de 60 à 70 %, 30 ans plus tard. Ils étaient le plus souvent encadrés par les sociétés secrètes chinoises qui pensaient plus à leur intérêt qu’aux intérêts des coolies chinois.
Il faudra attendre le maréchal Phibun pour que soit décidé le 1er novembre 1956 ce qui ressemble au premier code du travail (Le second le sera en 1975), même si auparavant quelques dispositions du Code civil et commercial (dès 1925) et du décret sur les usines de 1939 réglementaient les conditions de travail. Il sera mis en vigueur le 1er janvier 1957.
Il limitait le nombre d’heures de travail, prévoyait un jour de repos hebdomadaire, des jours de congé pour maladie, réglementait le travail des femmes et des enfants, précisait les droits en matière de salaire, et donnait le droit aux employés de se syndiquer, de faire des meetings et de faire grève. (Droit non reconnu aux fonctionnaires). Mais des lois en 1958 et en 1965 interdiront de fait les syndicats. (Baffie et Oudin auraient pu être plus précis)
Après son coup d’Etat de 1971, le maréchal Thanom signe le 16 mars 1972 une proclamation (n°103) sur les questions de salaire, de sécurité et de compensation des travailleurs ; il supprime les lois de 1958 et 1965 qui interdisaient les syndicats et les grèves, mais la loi martiale établie repousse son application effective. Un mois plus tard, pour la première fois, un salaire minimum de 12 baths était établi. On ne peut pas dire qu’il fut appliqué immédiatement. En avril 72, toujours sous la dictature, des notifications du ministère de l’intérieur établissaient la base d’un système de protection sociale. (Il faudra attendre 18 ans sous Chatichai pour qu’une vraie sécurité sociale soit instituée).
Pendant la période « démocratique » le journal officiel publie le 26 février 1975, un décret qui semble plus favorable aux travailleurs, (même aux travailleurs des entreprises nationales) autorisant les syndicats, la formation de fédérations de syndicats, donnant de nouveau le droit de grève, mais nous disent Baffie et Oudin, associé à tant de restrictions juridiques que de nombreuses grèves pourront être déclarées illégales. Mais après le coup d’Etat du 23 février 1991, le gouvernement Anan interdisait de nouveau syndicat et droit de grève aux employés des entreprises nationales le 18 avril 1991. De plus, de nombreux employeurs ne respectaient pas les lois et abusaient de contrats temporaires de 6 mois, interdisant par là même aux salariés, de former un syndicat.
Le département du travail.
Il fut créé en 1965 alors que le pays était dirigé par les militaires et les syndicats interdits. On ne peut pas dire qu’il fut efficace car dans les années 80, il n’y avait encore que 54 inspecteurs, chacun devant contrôle 1000 entreprises environ, et 11 pour les exportateurs de main d’œuvre vers le Moyen-Orient (300.000 personnes env. en 90). Sous Chamnan, nommé directeur du département en octobre 1983, le département du travail se développa, avec 12 divisions et 1700 fonctionnaires, pour passer deux ans plus tard sous Chanasak à une division en plus et 2548 fonctionnaires.
Tout cela pour dire que les travailleurs étaient bien protégés par leur ministère !!! Le titre choisi par Baffie et Oudin pour aborder enfin les syndicats est assez explicite :
Les syndicats ouvriers : entre l’impuissance, la corruption et la politisation.
Quelques chiffres.
En 1960, sous le gouvernement du maréchal Sarit, moins de 18% de la population active exerçait une activité non-agricole. En 1986, 6,6% de la main d’œuvre non-agricole – soit 300.000 personnes - étaient membres de syndicats. Le secteur des entreprises nationales en comptait plus de la moitié représentée dans 94 syndicats.
Les conflits du travail enregistrés sont peu nombreux avec 144 cas en 1991 et 45 000 travailleurs impliqués.
Mais Baffie et Oudin ensuite, au lieu de présenter les principaux syndicats, indique leur faiblesse et le fait que leurs actions se réduisent à la revendication de l’augmentation du salaire minimum, aux subventions accordées par le gouvernement et à la célébration des fêtes du 1er mai. Ils signalent aussi qu’ils se critiquent mutuellement sur les aides que reçoivent certains de l’étranger et donnent quelques exemples. Il y a aussi des « amitiés particulières » comme celle du National Free Labour Union Congress (NFLUC), une des trois premières centrales ouvrières créées en Thaïlande, qui aurait été « suscitée » par le bureau de la Sécurité Intérieure.
Baffie et Oudin citent une brochure de juillet 1964 publiée par les « Ouvriers thaïlandais » - à une époque où les syndicats étaient interdits ! - qui saluait le maréchal Phibun qui avait donné aux ouvriers thaïlandais ses premières lois sur le travail et institué la fête du 1er mai. Ils évoquent une enquête de 1986 faite par l’Université de Thammasat auprès de 550 syndiqués de 24 entreprises, qui nous apprend que 53,3% d’entre eux répondirent « qu’un gouvernement dictatorial tel qu’un régime militaire serait capable de résoudre les problèmes sociaux plus sûrement et plus rapidement qu’une démocratie ». Ils rappellent également que les syndicats se sont rapprochés en 1977 du général Kriangsak, et que le 20 octobre 1977, ils organisèrent une vaste manifestation de soutien et d’union après que celui-ci prit le pouvoir. Kriangsak fit d’ailleurs nommer sénateurs trois des leaders syndicaux les plus populaires.
Notre article 231 « LES 843 JOURS DU GÉNÉRAL KRIANGSAK CHAMANAN . (11 NOVEMBRE 1977 – 3 MARS 1980) avait déjà évoqué ces liens.
« Les liens avec le monde ouvrier »
Les intentions de Kriangsak étaient de transformer ce qui n’était qu’un département du Travail en un bureau autonome dont le responsable aurait rang de ministre et ce dans le cadre d’un projet de plan quinquennal (1982-1986) qu’il ne put évidemment pas mener à terme. Si ce projet ressurgit en 1986, il semblerait que cette décision (qui ne vit le jour qu’en 1993) n'était que politique : un portefeuille de ministre et deux de vice-ministres à partager entre les membres des coalitions. Sous le gouvernement précédent Thanin (octobre 1976 - octobre 1977), les syndicats auxquels on proposait de participer à des cérémonies religieuses plutôt qu'à des meetings s'étaient rapprochés de chefs militaires, Kriangsak en particulier.
Le 20 octobre 1977, dès que celui-ci eut renversé Thanin, les syndicats organisèrent un vaste rassemblement d'union au cours duquel Kriangsak vint serrer la main des leaders syndicaux. Ne disposant pas dans l'armée d'une base suffisamment solide, souhaitait- il seulement se constituer une clientèle ou laissait-il parler son cœur ? Lorsqu'il devint Premier ministre le 11 novembre 1977, il prit également le poste de ministre de l'Intérieur qui avait sous son contrôle direct le département du Travail et choisit de nommer vice-ministre de l'Intérieur chargé du Travail Damri Noimanee, qui avait été directeur général du département du travail en 1972 lorsque le droit de grève fut à nouveau en vigueur. Il fit nommer sénateurs trois des leaders syndicaux les plus populaires dont Ahmad Khamthesthong et Sawat Lookdote. Dans un entretien avec l'hebdomadaire Suwannaphum du 18 février 1980, quelques jours avant le « départ volontaire » de Kriangsak le 29 février, deux responsables du syndicat du rail, Ahmad Khamthetthong et Sawat Lookdote, ne faisaient pas mystère de leurs liens avec le groupe des « soldats démocratiques ». Lors du coup d’état manqué du mois d'avril 1981 les leaders syndicaux furent convoqués au quartier général des troupes rebelles et plusieurs des plus connus, comme Paisal Thawatchainan et surtout Sawat Lookdote, se montrèrent à la télévision très favorables au coup d’état et très critiques envers le gouvernement du général Prem Tinsulanonda. Ils auraient selon une rumeur persistante, dressé une liste noire des patrons « à éliminer » après leur coup d'État, mais après leur échec, ils réussirent cependant à persuader l'opinion qu'ils avaient agi « sous la pression » et qu'ils étaient opposés l'utilisation de méthodes « non démocratiques » pour conquérir le pouvoir. En janvier février 1983, un autre dirigeant syndical leur reprochait de négliger les conflits des travailleurs pour ne s'intéresser qu'à la politique : ils soutenaient en effet la campagne des militaires pour amender la constitution. Paisal, proche du général Kriangsak, déclarait à l'hebdomadaire tawan mai du 10 août 1981 : « en vérité, les soldats comprennent les ouvriers et ce serait l'idéal si l'institution militaire et les ouvriers se donnaient la main... » (Source principale , également B et O).
En 1983 et 1984 de nombreux syndicats (Baffie et Oudin citent dix syndicats d’industries du transport, les centrales ouvrières LCT et NFLUC, et le Conseil National du Travail (NLC)) sont proches également du général Athit (Commandant en chef de l’armée) et le soutiennent dans son opposition politique au 1er ministre Prem. Au début d’août 1985, le leader syndicaliste (et sénateur) Ahmad et trois de ses collègues furent renvoyés du chemin de fer pour avoir lancé une série de grèves politiques.
« Le 9 septembre 1985, lorsque les militaires déjà auteurs de la tentative d'avril 1981 alliés à quelques généraux en retraite dont probablement le général Kriangsak, tentèrent un coup d'État, neuf leaders syndicaux, dont surtout Ahmad et Sawat, se rangèrent du côté des révoltés et essayèrent de mobiliser les travailleurs. Dès 15 h 30 le coup avait échoué. Les jours suivants, Ahmad Khamthesthong et Sawat Lookdote, tous deux sénateurs, furent questionnés et arrêtés pour avoir soutenu le coup. Alors que les généraux, instigateurs du coup, furent rapidement libérés sous caution, les syndicalistes arrêtés, dont Ahmad et Sawat, passèrent près de deux ans en prison. »
D’ailleurs dès 1957, existaient des partis ouvriers, même s’ils eurent peu de succès.
« Un Parti des ouvriers (Phak kammakon) a présenté 10 candidats aux législatives du 26 février 1957, puis un Parti du Travail (phak roeng-ngan) a présenté 4 candidats à celles du 10 février 1969 ; ils n’eurent aucun élu. » Baffie et Oudin évoquent ensuite les 3 partis ouvriers qui ont pris part aux élections du 26 janvier 1975, où seul le Parti du Travail eut un élu à Lampang, Sa-at Piyawam, un fils de paysan devenu homme d’affaires. Réélu l’année suivante, il rejoignit d’ailleurs en 1979 le Parti de droite chat thai proche de l’armée et des milieux capitalistes. Le 22 juillet 1981, on vit un Parti ouvrier et le Parti du Travail s’unir pour former le Parti Travail et Démocratie, où Samak Lookdote et Ahmad Khamtheetthong furent les plus actifs. Enfin, un parti ouvrier à la « thaïlandaise » car le quotidien Matichon prétendait que les maîtres d’oeuvre étaient le lieutenant général Rawee Wanpen (officier du Bureau de la Sécurité intérieure (ISOC) et l’un des leaders des « Soldats démocratiques») et Prasert Sathunton (ex-communiste devenu proche des « progressistes » de l’armée) avec –disait-on- le soutien du lieutenant général Harn Leenanonda, commandant de la Région Sud. Aux élections de 1983 le parti présenta 6 candidats et n’eut aucun élu ; Aux élections du 27 juillet 1986, il présenta 240 candidats mais n’eut qu’un élu. Il n’y eut aucun candidat aux élections du 24 juillet 1988 et à celles du 22 mars 1992 après le coup d’Etat du 23 février 1991, on se trouve en face d’une lutte entre les factions militaires, les « putchistes » et leurs alliés contre des partis plus « démocrates » dirigés aussi par des militaires (khwam wang mai et phlaang tham) ; Quant-à la représentation « ouvrière »Baffie et Oudin citent Wathana du parti Chat thai (Voir plus haut son palmarès de vice-ministre et « parrain » ) qui remporta 5 des 6 sièges (dont son frère, son secrétaire pour les affaires syndicales) disponibles de sa province de Samut Prakan. Comme « ouvrier » on peut mieux faire.
Baffie et Oudin reconnaissent qu’aux élections du 13 septembre 1992, aucun parti ne faisait directement référence aux travailleurs ainsi qu’aux précédentes élections d’ailleurs, rajoutent-ils, même si dans certains partis, comme le chat phatthana de Chatichai, le phalang tham du général Chamlong, le prachathipat de Leekpai, le kwam wang mai de Chavalit, on trouve des députés et conseillers qui défendent la cause des travailleurs.
Quant-au Parti communiste (PCT) et les syndicats ?
Le parti communiste ne fut légal en Thaïlande qu’entre 1946 et 1947. Cela avait été le prix à payer pour que la Chine et l’URSS lèvent leurs vétos pour l’admission de la Thaïlande à l’ONU. Il passa dans la clandestinité après le coup d’Etat du maréchal Phibun. Il comptait alors dans ses rangs d’anciens leaders syndicalistes, comme Mongkol Na Nakhon et Phrasit Taphientong. (Nous n’allons pas revenir sur leur « carrière » au sein du PCT). Toutefois, dans les périodes où les syndicats étaient autorisés, le PCT a toujours eu des actions d’infiltration et de contrôle, qu’il est évidemment difficile de mesurer, mais on les disait présent dans les syndicats des entreprises nationales, comme celle du rail par exemple. Baffie et Oudin signalent qu’à l’époque où Paisal dirigeait le LCT, ils constituaient une tendance presque officielle, et qu’en 1978-1980, il y eut des liaisons entre le LCT et des syndicalistes vietnamiens de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) basée à Prague d’inspiration communiste ; mais les informations données sont très parcellaires et ne permettent pas vraiment de se faire une idée claire des relations qui ont existé entre le PCT et les syndicats.
Il faudra attendre le chapitre intitulé « Divisions, luttes intestines et assassinats » (p.176), pour avoir des informations plus précises sur ce que pouvaient représenter les syndicats et leur prolifération.
Le code du travail de 1975 qui permettait de créer un syndicat avec seulement 10 membres fut responsable de la prolifération des syndicats. Ainsi, on en comptait « 184 dès 1976, 430 en 1984, 593 en 1989, 814 au 1er août 1993. Mais les syndicats étaient vraiment très faibles puisque en 1993, ces 814 syndicats ne rassemblaient que 213.243 travailleurs soit une moyenne de 262 membres par syndicat. ». Les chemins de fer avaient 5 syndicats, les compagnies de bus de Bangkok, 20.
S’il y eut longtemps 3 centrales syndicales, en 1993, il en existe 7 qui réunissent 510 syndicats comprenant au total 134.287 personnes ; et donc 304 syndicats qui ne sont reliés à aucune centrale.
On imagine aisément les discordes, les rivalités, les tentatives d’union (comme par exemple entre le TTUC, LCT, NCTL, et NFLC), qui seraient trop longs à raconter dans ce simple article, surtout comme le dit Panit Charoenphao, le 15 août 1994, le leader du TTUC, que de nombreux hommes politiques et organismes officiels créent de nouveaux syndicats pour diviser le monde ouvrier, mais rajoutait-il « je ne veux en dire trop car je risque de me faire descendre. »
Transition qui permet à Baffie et Oudin de préciser que les assassinats et tentatives d’assassinats de leaders syndicaux ne sont pas rares en Thaïlande, comme d’ailleurs - auraient-ils pu rajouter - les assassinats lors des élections législatives.
Et de citer à l’été 1977, l’assassinat par 3 tueurs du leader d’un syndicat du textile, Tawat Piromphon ; d’une tentative en septembre sur Vichien Svirichien, leader du syndicat du transport maritime ; en août 1979, l’assassinat du leader du syndicat du textile de Phitsalunok ; le 14 octobre 1981, un leader des employés des abattoirs de la société Saha Farm. Quand ce n’est pas les syndicalistes qui se tuent entre eux, comme par exemple le 21 mars 1983, Kampoon Wongkhan, un des leaders du syndicat de l’Acier et des Métaux, assassiné après une réunion à Samut Phrakan; Bundit Lekpraset, un autre leader du même syndicat avait commandité le crime. « Un an plus tard, le 17 avril 1984, ce fut autour d’un ancien président du syndicat du Transport Maritime, ancien conseiller du LCT, Thongchai Limpongpam de tomber sous les balles d’un tueur à gage. On trouve aussi des assassinats camouflés en accident ou des gens qui disparaissent comme Thanon Po-arn, le président du LCT, le 19 juin 1991, après un coup d’Etat militaire. Ou bien encore on sait se vendre et devenir député ou sénateur. **
Bref, les syndicats, n’échappent pas au système généralisé de la corruption** que l’on a pu constater maintes et maintes fois dans notre « Histoire » chez les militaires, les politiciens, les hommes d’affaires, et récemment même chez les religieux*** …
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*Article de Jean Baffie et Xavier Oudin, « Travail, ouvriers et syndicats en Thaïlande », pp. 149- 184, in « Le Mouvement social : Bulletin trimestriel de l’Institut français d’histoire sociale, octobre-décembre 1995, Numéro 173. »
** Cf. Notre article « A 80. La corruption made in Thaïlande. » http://www.alainbernardenthailande.com/article-a80-la-corruption-made-in-thailande-111305863.html
*** Cf. Notre article récent A 216, sur le temple Dhammakaya.
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