Photographie célèbre d'un membre du Parti du Peuple distribuant un dépliant à la Place Royale le 24 juin 1932
Le samedi 24 juin 2017 marquait le 85ème anniversaire de la « Révolution démocratique » de 1932. Des universitaires, des politiciens et des « militants » ont commémoré cet événement historique avec enthousiasme mais sans participation des autorités.
Nous savons que dans la matinée du 24 juin 1932, le « Parti du Peuple » (Khana Ratsadon - คณะราษฎร) qui n’avait de « populaire » que le nom, avait organisé la révolte pour mettre un terme à la monarchie absolue et faire entrer le pays dans l’ère de la démocratie. 85 ans plus tard, la démocratie en Thaïlande est loin d’être une constante de la vie politique face à ce que l’opposition appelle « les élites conservatrices » accusées de n’avoir jamais cessé d'essayer d'annuler cet héritage, ce dont elle voit une éclatante manifestation dans la mystérieuse disparition de la plaque en bronze installée par le « Parti du peuple » à Bangkok, pour commémorer le coup d’état.
Elle avait été installée dans le quartier de Dusit, non loin du Parlement, en 1936 soit quatre ans après le coup d’état qui avait renversé la monarchie absolue, pour instaurer une monarchie constitutionnelle. Elle portait une simple phrase : « C’est ici, dans la matinée du 24 juin 1932 que le parti du peuple a donné naissance à la Constitution pour le progrès de la nation ». Scellée dans la chaussée, elle avait été remplacée par une plaque portant des slogans monarchistes. Ce vol avait alors provoqué une vague de protestations dans les milieux dits « progressistes » sans que le Gouvernement ne manifeste beaucoup de zèle pour ouvrir une enquête. La découverte datait du 6 avril quand un groupe d’étudiants s’était rendu sur place et s’aperçut qu’elle avait été remplacée par une autre plaque, flambant neuve, appelant les Thaïlandais à soutenir le bouddhisme et la monarchie. Les caméras de surveillance de l’endroit, simple hasard, étaient tombées en panne.
Fallait-il y avoir une tentative de négation de l’histoire ou le geste d’un fou puisque quelques temps plus tard un dénommé Wichan Phuwihan s’est dénoncé auprès des autorités qui ont jugé bon de lui faire subir un bilan de santé mentale dont nous attendons le résultat ? Il a en tous cas été dans l’incapacité de dire ce qu’il avait fait de cette relique et qui l’avait remplacée ?
Il semble par ailleurs que la nouvelle plaque soit à ce jour restée en place ? Le jour anniversaire du coup d’état, un ancien prisonnier activiste ayant été condamné pour lèse-majesté, Ekachai Hongkangwan, s’est rendu sur le site avec une réplique de la plaque d’origine et un seau de béton et a été arrêté lorsqu'il a essayé de l’'installer. L’affaire s’est terminée pour lui sans trop de mal, 10 heures en garde à vue.
Un autre individu dit « activiste » a aussi été arrêté, le jeune étudiant Rangsiman Rome,
qui anime le groupe pour « la restauration de la démocratie » (กลุ่มฟื้นฟูประชาธิปไตย).
Il devait organiser une conférence commémorative qu’il a cru devoir baptiser en anglais « Start Up People - Start Up Talk » (ce que nous traduirions plus simplement par « redonnons la voix au peuple ») mais a été brièvement détenu sur la base d’accusations antérieures et la conférence s’est déroulée sans lui. Il a d’ailleurs déclaré que son arrestation avait été motivée par son intention de demander à la junte de révéler le détail du projet de train Sino-Thaï controversé ce qui nous éloigne un peu du rétablissement de la démocratie ! La conférence s’est tenue le vendredi veille de l’anniversaire à la Faculté de science politique de l'Université Chulalongkorn en présence de nombreux agents de la sécurité en civil. L’entrée était payante, 250 baths, ce qui n’est peut-être pas très démocratique et les tracts distribués écrits partiellement en anglais, ce n’était peut-être pas fait pour attirer le petit peuple de Bangkok ?
Les autorités avaient autorisé ce séminaire mais auraient invité les organisateurs de l'événement à ne pas parler de la plaque « révolutionnaire » manquante mais ils n’ont fait que ça. Sans que nous connaissions le nombre de participants, selon l’expression thaïe, « il n’y avait pas place pour un éléphant » dans la salle. Les orateurs y ont beaucoup insisté sur la disparition de la plaque, un geste politique selon l’historien Suthachai Yimprasert.
Celui-ci s’est essentiellement attaché à dénoncer les conservateurs hostiles au système électoral parlementaire. Un autre membre du panel, Nattapol Jaijing, qualifié d’ « analyste politique » s’est élevé contre les affirmations condescendantes et plus ou moins récurrentes selon lesquelles les Siamois de 1932 n’étaient pas – faute d’éducation suffisante – mûrs pour la démocratie.
On a aussi évoqué le souvenir de députés « historiques » de la première assemblée élue, Son Wongto, député de Chainat, et Thanin Chaiyakan, député d'Ubon Ratchatani, insistant surtout sur le caractère archaïque de l’ancien régime. Yukiang Thongnongya, député de Kanchanaburi, dont on rappelle qu’il avait suggéré en 1933 la construction d’un « grand barrage de cascade » qui ne fut construit qu’en 1973. Manun Borisut, député de Suphan Buri, avait proposé un système de droit administratif afin que les fonctionnaires prévaricateurs puissent être traduits en justice. La Juridiction administrative en Thaïlande n'a été créée qu'en 1999.
En un mot comme en mille, « Que la république était belle sous l’Empire ».
Ceci dit, nous avons bien assez parlé de la situation politique au Siam pour être enclins à un léger sourire lorsque les participants à cette réunion appelaient « Révolution démocratique » ce qui ne fut qu’un coup d’état militaire, ni le pire, ni le premier ni le dernier, même s’il a marqué en profondeur l’évolution constitutionnelle de la Thaïlande vers une hypothétique démocratie et conduit à la promulgation d’une première constitution écrite, première d’une longue liste.
La disparition de cette modeste plaque de bronze installée de façon confidentielle et inconnue de tous, qu’elle soit l’œuvre d’un malade mental ou d’un groupuscule activiste ne parait toutefois pas devoir faire l’objet d’un scandale national d’amplitude même si elle est lourd de symbole. Il subsiste, autrement plus spectaculaire et plus lourd de symboles encore, le monument de la démocratie qui célèbre la « victoire du peuple » le 24 juin 1932. Nous en avons longuement parlé (1).
Ces précisions – en dehors de nos conclusions - ont été puisées dans le site Internet d’information quotidien du journal en ligne Prachathai (ประชาไท) ouvertement hostile au gouvernement en place. Son animatrice, Chiranuch Premchaiporn, a payé à de multiples reprises le prix de son impertinence par des condamnations pour lèse-majesté.
Il est suivi par près de 240.000 personnes, trois fois plus que les deux quotidiens « qu’il faut avoir lu quand on appartient à l’élite », le Bangkok Post et The Nation.
(1) http://www.alainbernardenthailande.com/2015/12/a-205-le-monument-de-la-democratie-le-mal-nomme.html
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