Ramathibodi Ier, le fondateur du royaume d’Ayutthaya (1351-1369) meurt donc en 1369, son fils Ramesuan, qui avait été nommé par son père, roi de Lopburi, lui succède. Il régnera moins d’un an. « Les Chroniques royales d’Ayutthaya » de Richard D. Cushman, lui consacreront trois lignes et demie pour relater ce fait, pour annoncer ensuite, qu’ « en 732, l’année du chien, 2ème décade » ses ministres lui annonceront l’arrivée du roi Boromracha ; qu’il invitera à rentrer en sa capitale ; lui remit le trône, lui rendra hommage, prit congé et retournera à Lopburi, comme auparavant. »
Pour paraphraser Molière, nous pourrions dire « Qu’en termes élégants, ce coup d’Etat est présenté. » A la mort du roi Boromracha 1er en 1388, le roi Ramesuan sera moins « élégant » avec le fils de celui-ci, Thong Lan, qui à peine monter sur le trône à 13 ans (ou 15 ans), le fera arrêter sept jours plus tard et exécuter au monastère du Khok Phrya, pour régner de nouveau jusqu’en 1395.
Mais revenons au règne de Boromracha Ier (1370-1388).
Nous avons appris précédemment que le fondateur du royaume d’Ayutthaya, Ramathibodi Ier avait accordé le muang de Lopburi à son fils Ramesuan et nommer son beau-frère Boromracha, comme le nouveau roi de Suphanburi ; que Ramathibodi lui avait demandé de soutenir son fils dans la conquête d’Angkor. Ce qu’il avait fait avec succès. (Cf. RH 19) Nous pouvions en déduire qu’il était considéré comme un personnage puissant dans ce nouveau royaume et qu’il était un guerrier redoutable. Il le confirmera, comme nous venons de le dire, en prenant le pouvoir d’Ayutthaya en déposant son neveu Ramesuan, tout en « l’invitant » à gouverner de nouveau Lopburi.
Les « Chroniques royales d’Ayutthaya » qui résument en 34 lignes les principaux événements de son règne vont confirmer ce premier portrait.
Dès la première ligne, il est dit que le roi en 1371 (Ou si vous voulez « en 733, l’année du sanglier, 3e décade » part pour conquérir et s’emparer de toutes les cités du Nord.
Et en effet, les Chroniques vont ensuite énumérer toutes les guerres et/ou combats menés:
- En 1372, Boromracha Ier va s’emparer de Nakhon Phangkha et Sangcharao.
- En 1373, il part à la conquête de Chakangrao (Kamphaeng Phet). Les deux chefs Phraya Sai Kaeo et Phraya Khamhaeng sortent de leur cité pour le combattre. Boromracha 1er va tuer Phraya Sai Kaeo, mais Phraya Khamhaeng et ses soldats parviendront à rejoindre leur cité. Boromracha 1er retournera alors en sa capitale.
- En 1374, le roi et le vénérable Thammakanlayan érigèrent un grand temple, avec glorieuses reliques et 19 wa.
- En 1375, le roi s’empare de Phitsalunok et capture le chef de la cité Khun Sam Kaeo et revient à Ayutthaya avec un grand nombre de familles « captives ».
- En 1376, le roi part pour s’emparer de nouveau de Chakangrao. Phraya Khamhaeng et Thao Pha Kong tentent de le combattre, mais ne peuvent résister. Thao Pha Kong et ses soldats purent s’enfuir, mais le roi les poursuivit, les attaqua et les dispersa. De nombreux dignitaires ( thao, phraya, khun, mün) furent capturés et la royale armée retourna en sa capitale.
- En 1378, le roi repart en guerre contre Chakangrao. A cette occasion le Prah Maha Thammaracha de Phitsalunok s’allie à cette cité, mais il se rend à l’évidence et constate qu’il n’est pas capable de s’opposer à l’armée royale d’Ayutthaya. Il se voit contraint de reconnaître sa vassalité.
- En 1380, le roi veut conquérir Chiang Mai et ordonne à son armée d’attaquer Nakhon Lampang, mais ce ne fut pas un succès. Le roi alors envoya un message au Mün (le chef) de Nakhon Lampang pour qu’il reconnaisse sa vassalité. Ce qu’il fit. La royale armée retourna ensuite à la capitale.
L’éminent spécialiste de la Thaïlande et de la langue thaïe Gilles Delouche dans son article L’Incorporation du royaume de Sukhotai au royaume d’Ayudhya par le roi Phra Boromotraylokanat (1448/1488) : Le bouddhisme instrument politique, nous dit qu’effectivement Khun Luang-Pha Ngua, qui régnait sur la ville de Supanburi sous le titre de Boromoracha renversa son neveu Ramesuan en 1370 et l’exila comme gouverneur à Lopburi ; et qu’il régna avec le titre de Boromorachathirat Ier (1370-1388), mais il présente le règne de Boromracha 1er sous un angle différent. (1)
Il estime que le roi a opéré 6 attaques de 1370 à 1378 contre Sukhotai, le royaume du Nord, « attaques qui s’achèvent, en 1378, par la défaite de Phra Maha Thammaracha II. Le royaume de Sukhothay (sic) est alors divisé en deux parties, la première avec Sukhothay comme capitale, est laissée à Thammaracha II, qui accepte la suzeraineté d’Ayudhya, tandis que la seconde autour de Kamphaeng Phet, rentre dans les limites du royaume d’Ayudhya, encore que son gouverneur soit un membre de la dynastie de Sukhothay.»
(Kamphaeng Phet ou Chakangrao? En fait Boromracha a combiné les deux cités de Chakangrao et de Nakom Chum pour former la nouvelle cité de Kamphaeng Phet)
[…] La victoire remportée en 1378 met le royaume d’Ayudhya en contact direct avec celui du Lan Na Thay, dont les ambitions sont aussi orientées vers le royaume de Sukhothay et la lutte entre les deux Etats va bientôt commencer. En 1386, Phra Boromorachathirat 1er va attaquer la ville de Lampang sans toutefois réussir ; deux ans plus tard, au cours d’une nouvelle campagne contre le Lan Na Thay, il tombe malade et meurt. »
Quelques remarques.
Les noms de « Sukhotai » et du « Lanna » ?
Delouche cite la version A dite version de Luang Prasoet, sauf que cette version ne nomme pas le Lanna, mais une nouvelle attaque contre Chakangrao. De même, il laisse supposer que les six attaques du roi Boromracha 1er visaient le royaume de Sukhotai, qu’il divisera en deux, après l’avoir vaincu, alors qu’il est expressément dit dans les « Chroniques » qu’en 1378, le roi repart en guerre contre Chakangrao, et non contre Sukhotai et que Thammaracha, qui veut le soutenir, n’est que le Prah Maha de Phitsalunok.
Une hypothèse ? Ces royaumes ne portaient pas ce nom à cette époque.
B. J. Terwiel, in « Thailand’s Political History » estime que le « Lanna » considéré comme un empire unifié au 13e et 14e siècle est un mythe qui a été inventé au XXe siècle (Note 16, p.14), de même il indique qu’il n’est pas possible d’accepter le concept de « Période de Sukhotai (1250-1351) » qui impliquerait un état central ayant le pouvoir absolu sur les autres groupes thaïs de la région. Il rappelle que cette vision répond à une histoire nationale officielle, construite et enseignée aux élèves pour leur apprendre combien leur pays a été grand et magnifique, avec une économie abondante, vivant heureux sous le bouddhisme gouvernée par un roi sage et vertueux. (Il fait référence à la stèle de Ramakhamhèng de 1292, en citant des historiens thaïs qui doutent de son authenticité. Note p. 15) Question que nous avons traitée dans nos articles 19 et 20 de « Notre Histoire ») (2)
La mort de Boromracha Ier. Un problème de dates ?
Ainsi concernant la mort de Boromracha Ier, nous apprenons dans la section suivante consacrée au roi Thong Lan (1388), par les versions BCDEF que le roi décède « en 744, l’année du chien, la 4e décade » ( soit 1382 ?), après 13 ans de règne ; La seule version A dite de Luang Prasoet prétend que le roi décède « en 750, l’année du dragon » (Soit 6 ans plus tard, en 1388 !), tout en précisant, qu’il serait mort après être tombé malade, lors d’une nouvelle expédition contre Chakangrao.
Alors pourquoi dans les « Chroniques » Wyatt n’a retenu que la date de la seule version A. Peut-être tout simplement parce qu’elle fut la date retenue par « L’Histoire officielle » ou qu’il a estimé, comme nous, que les bonnes dates (à plus ou moins une année) sont celles des annales A.
Nous avions tenté de faire le point sur cette « chronologie incertaine pour écrire l’histoire d’Ayutthaya ? » (In Article 59. (3)), car les dates des différentes versions des « Chroniques royales d’Ayutthaya » présentent des écarts qui peuvent aller parfois jusqu’à 20 ans. La difficulté provient également du fait que l’ancien Siam suivait le calendrier lunaire. Un calendrier où il est nécessaire d’ajouter 638 ans (à plus ou moins une année) pour obtenir l’année du calendrier grégorien. Cet ancien calendrier lunaire sera utilisé jusqu’au passage au calendrier solaire en 1889.
Bref, disons que le roi Boromracha Ier meurt en 1388, que son jeune fils Thong Lan (13 ou 15 ans), ne régnera que 7 jours. Ramesuan, qui était toujours le roi de Lopburi, le fera arrêter et exécuter au monastère du Khok Phrya, et régnera de nouveau jusqu’en 1395.
Références.
(1) Gilles Delouche, L’Incorporation du royaume de Sukhotai au royaume d’Ayudhya par le roi Phra Boromotraylokanat (1448/1488) : Le bouddhisme instrument politique a été publié pour la 1ére fois dans les « Cahiers de l’Asie du Sud-Est », n° 19.
ww.alainbernardenthailande.com/article-59-une-chronologie-incertaine-pour-ecrire-l-histoire-d-ayutthaya-112318322.html
(2) 19. Notre Histoire : La stèle de Ramakhamhaeng (fin du XIIème ou début du XIIIème ?)
20. Notre Histoire : Le roi de Sukkhotaï Ramkhamhaeng, selon la stèle de 1292
(3) 59. Une chronologie incertaine pour écrire l’histoire d’Ayutthaya ?
commenter cet article …
Mélina 24/10/2017 15:56
grande-et-petites-histoires-de-la-thailande.over-b 25/10/2017 02:51