Cet article diffère de celui que nous avons publié il y a 5 ans sur le même sujet. (1)
« Les Chroniques Royales d’Ayutthaya » (2) vont consacrer 2 pages et demie au règne du roi Boromtrailok (3), dans un style très fragmenté de 28 insertions dont une quinzaine de 2, 3 lignes, comportant une trentaine d’informations d’inégale valeur et sans lien entre elles, qu’on peut regrouper en trois thématiques. La plus importante étant les guerres menées par le roi et son fils, contre ses rivaux (surtout celles du roi de Chiang Mai), les actes religieux donnés sommairement qui n’oublient pas les faits surnaturels, et une dizaine de faits divers (visites du roi, décès, naissance royale, etc).
Bref. « Les Chroniques royales d’Ayutthaya » annoncent qu’ « en 1448, le roi Boromracha II meurt et que son jeune fils le Prince Ramesuan monte sur le trône et devient le roi Boromtrailok. » (à 17 ans ?) (2) Celui-ci avait été nommé par son père, vous vous en souvenez, comme le gouverneur de Phitsalunok, à la mort du dernier roi de Sukhotai Maha Thammaracha IV en 1438 (Il avait alors 7 ans !) avec la dignité de Phra Maha Uparat (soit l’héritier du royaume d’ Ayutthaya).
Le roi Boromtrailok commence son règne en introduisant d’importantes réformes.
Le 1er paragraphe signale qu’il établit des titres de noblesse selon le rang et la place. Ainsi le chef des armées sera le 1er ministre Phra Kalahom, le chef de l’administration devient le 1er ministre Nayok, le Khun Muang devient Phra Nakhon Banmuang, le Khun Wang devient Phra Thammathikhon, le Khun Na devient Phra Kaset, le Khun Klang devient Phra Kosathibodi. Chacun se voit attribuer 10 000 sakdina.
Le roi fera également construire au début de son règne le temple Phra Ram, comportant un saint reliquaire et une salle de prédication, sur le site de crémation du roi Ramathibodi I, le fondateur de la capitale.
Les chroniques n’expliquent pas ce que représente une sakdina, or sa compréhension est essentielle pour appréhender le système politique, administratif et foncier du pouvoir royal.
La sakdina est un système hiérarchique qui attribue un rang, un grade donnant droit à une surface donnée et un nombre de paysans (Phraï ou hommes libres et That ou esclaves) correspondant. Elle régule donc le système foncier, et donne au roi le pouvoir de « récompenser » les guerriers valeureux ou méritants ou de « punir » les hommes ayant failli ou « dangereux ». La sakdina est un des moyens qui permet aussi au chef du muang d’assurer son pouvoir en gérant : son territoire (son foncier), son « pouvoir économique », « ses subordonnées », et de répondre aux « exigences (impôts et corvées) du muang supérieur. Elle constitue l’un des moyens d’organisation et d’exercice du pouvoir, avec les mariages les alliances, les « vassalisations » et … les guerres.
(Pour en savoir plus, lire notre article intitulé « La sakdina, le système féodal du Siam ? ») (4)
Les Chroniques royales vont relater brièvement les « guerres » et « rebellions », le plus souvent sous forme de dépêches, sans qu’aucune cause ni circonstances ne soient données. Ainsi :
En 1451, l’année de la chèvre, Maha Rat, (le souverain de Chiang Mai ?) prend Chakangrao, puis veut s’emparer de Sukhotai, mais n’y parvient pas.
En 1455, l’armée royale prend Malaka. En 1456, elle se saisit de Lisotphin et fonde à cette occasion la royale armée de la municipalité de Khon. En 1460, le Phraya de Chaliang se rebelle, prend toutes les familles avec lui et se met sous la vassalité du roi de Chiang Mai Phra Maha Rat.
En 1461, le même Phraya de Chaliang prend la tête des troupes de Phra Maha Rat pour se saisir de Phitsalunok, mais il n’y parvient pas. Il tente ensuite de prendre Kamphaengphet, mais il échoue après sept jours de combat ; Cette cité ayant reçu l’aide du roi Boromtrailok et du Prince Intharacha, son fils. Celui-ci a alors attaqué et mis en déroute les forces de Phaya Kiat. Il a ensuite rencontré les forces de Mün Nakhon (gouverneur ?) et s’est battu avec lui dans un duel à dos d’éléphants. Il est dit que quatre Laos de l’unité d’éléphants ont capturé le royal éléphant et qu’à cette occasion le prince Intharacha a été blessé à la tête par une flèche. L’armée de Phra Maha Rat retournera alors à Chiang Mai. En 1462, le chef de Nakhon Thai a émigré à Nan avec ses sujets. Phraya Kalahom (le chef des armées du roi Boromtrailok) a été envoyé pour le ramener (en son territoire). Et qu’ensuite Phraya Kalahom a attaqué Sukhotai pour le soumettre comme auparavant. (Pourquoi ? Comment ?)
1463 ? Une date importante.
La version A des Chroniques royales nous apprend, mais sans nous donner d’explications, que le roi Boromtrailok décide de régner depuis Phitsalunok et que son fils va régner à Ayutthaya avec le titre de Boromracha III. (On le verra aussi apparaître parfois sous le titre de Prince Intharacha) . C’est un événement majeur, mais nous n’en saurons pas plus. (Stéphane Dovert, in « Thaïlande Contemporaine » invoque une querelle dynastique, qui imposera à Boromtrailok de quitter Ayutthaya pour Phitsalunok où il régnera jusqu’en 1488. (5) Toutefois les Chroniques nous disent qu’en 1485, le roi Boromtrailok désignera son fils comme l’Uparat, à savoir son héritier.
D’ailleurs en cette même année 1463, Maha Rat tente de prendre Sukhotai, mais les rois Boromtrailok et Boromracha III vont défendre la cité. Le roi Boromracha III va attaquer les troupes de Phraya Thian et les mettre en déroute. Mais on retrouve ensuite dans les Chroniques le même duel à dos d’éléphants entre Mun Nakon et le Prince Intharacha et les quatre Laos de l’unité d’éléphants qui ont capturé le royal éléphant et qu’à cette occasion le prince Intharacha a été blessé à la tête par une flèche. Et là aussi, Maha Rat retourne ensuite en sa cité. Pour le moins, la confusion est certaine. (Alors en 1461 ou en 1463 ?)
De même, on apprend qu’en 1468, Maha Rat arrache Chiang Mai à Thao Luk. (Alors qu’il était déjà présenté auparavant comme le roi de Chiang Mai !) En 1474, le roi (Boromracha III) prend Chaliang et en 1475 Maha Rat établit des relations d’amitié avec lui. En 1480, le roi de Lan Chang meurt, le roi nomme Phraya Sai Kao comme le nouveau roi.
Et enfin, en une ligne, on apprend qu’en 1488, Boromracha III, le fils du roi, prend Tavoy. Et pendant ce temps-là, de nombreux présages maléfiques sont apparus (une vache a eu huit veaux, une poule un poussin à quatre jambes, une autre six poussins avec trois œufs, et la même année le riz s’est transformé en feuilles) [annonçant] la mort de roi Boromtrailok (à Phitsalunok). Il avait régné 38 ans.
Un roi - comme tous les rois qui l’ont précédé et qui lui succéderont-, un bon bouddhiste modèle qui honore et développe la sainte religion.
En 1448 - nous l’avons déjà dit - le roi construit, le temple Phra Ram en sa capitale sur le site de crémation de Ramathibodi I (le fondateur). En 1458, le roi encourage la sainte religion de Bouddha en diffusant des images des 550 (sic) existences de Bodhisattya et en construisant le temple de Culamani. En 1460, le roi organise un grand festival religieux pour célébrer des reliques sacrées et distribuer des cadeaux royaux aux moines, aux Brahmanes et aux mendiants. En 1464, le roi Boromtrailok fait construire une salle de prière au temple de Culamani et l’année suivante prit l’habit de moine durant 8 mois.
Les Chroniques évoquent aussi différents événements de façon disparate.
En 1454, une épidémie de variole cause de nombreux morts. En 1457, une nouvelle conversion de monnaie est établie (de bia en thanan, de bia en füang, du prix du riz en chang et bat). En 1461, le roi se voit offrir une éléphante blanche. En 1462, le roi (Lequel ?) a un fils. (Il n’a eu qu’un seul fils ?). En 1463, la seule source A nous informe que Mün Nakhon a dépouillé une statue de son or pour en décorer une épée. En 1479, Phra Siratdecho meurt. (On ne précise pas qui il est !). En 1485, il est dit que le roi est venu au corral d’éléphants de la municipalité de Sai Yoi. (Dans la seule source A). En 1486, le roi Boromracha III est venu au corral d’éléphants de la municipalité de Samrit Burana. En 1487, Maha Rat Thao Luk décède. (Le roi de Chiang Mai ?).
Quelques remarques.
Si le règne du roi Boromtrailok a été marqué par un conflit permanent initié par le royaume de Chiang Mai, on a du mal à se retrouver avec le nom du roi. On cite Maha Rat dès 1451 ; on annonce qu’en 1460, le Phraya de Chaliang se rebelle, prend toutes les familles avec lui et se met sous la vassalité de Phra Maha Rat (The « ruler of Chiang Mai », précise la version F). Or les Chroniques nous disent qu’en 1468, Maha Rat arrache Chiang Mai à Thao Luk. Le nom de Maha Rat est d’autant plus surprenant qu’on ne le retrouve pas dans l’histoire du Lanna. On évoque pour cette période le roi Tilokaraj (ou Tilokaraja), qui régna de 1441 à 1487, à qui effectivement en 1460 le gouverneur de Chaliang se rendit. Cet événement pouvant expliquer pourquoi le roi Boromtrailok déplaça sa capitale en 1463 à Phitsalunok.
(Cf. Notre article : 51. Un autre royaume thaï au Nord : Le Lanna (1260- 1564 …) (6)
D’ailleurs l’éminent Georges Coédès nous confirme « que les chroniques de Chiang Maï peuvent être en totale contradiction avec celles d’Ayutthaya en leurs différentes versions, traduites par Cushman. »
« Le Lan Na, fort politiquement et militairement étendit sa souveraineté sur les royaumes de Nan et de Phrae. Mais le roi eut l’ambition d’étendre sa souveraineté vers le sud et à partir de 1451, pendant 24 ans, il croisa le fer avec le roi Boromtrailok d'Ayutthaya. Le conflit commença lorsque le roi de Phitsanulok prêta serment d’allégeance au Lanna. Méfiant de la politique expansionniste de son voisin, le monarque d’Ayutthaya déménagea sa capitale à Phitsanulok. Ce n’est qu’en 1473 qu’intervint un traité de paix et d’amitié consacrant les extensions territoriales du monarque. » (1473 ou 1475 ?)
On pourrait d’ailleurs s’interroger à propos de multiples informations données dans les Chroniques royales, ainsi par exemple, la soi-disant prise de Malaka en 1455. (Annoncée en une ligne !)
Or, vous ne trouverez pas dans l’histoire de la cité-Etat de Malaka une quelconque prise de pouvoir par les Thaïs d’Ayutthaya au XVe et XVIe siècle. Il est question de menace expansionniste du royaume d’Ayutthaya, mais d’aucune installation armée. « Selon la tradition, Malacca aurait été fondée peu avant 1400 par Parameswara, un prince de la cité hindou-bouddhique de Palembang (sud de Sumatra) qui refusait la suzeraineté du royaume javanais de Majapahit et quitta Palembang. »
Elle fut à partir du début du 14e siècle sous la protection de la Chine. « En 1405, la cité cherche la protection de la Chine et y envoie plusieurs missions, auxquelles participent les trois premiers souverains eux-mêmes. En retour, l'amiral chinois musulman Zheng He vient plusieurs fois à Malaka de 1405 à 1433, à la tête d'une énorme flotte ». (Wikipédia). Et en 1511 Malaka sera prise par le vice-roi portugais des Indes Alfonso de Albuquerque et sera désormais sous contrôle européen (Après le Portugal, la Hollande, et ensuite la Grande Bretagne).
Dans ce contexte, on ne voit pas trop comment les Thaïs auraient pu prendre Malacca. Peut-être s’agit-il d’une brève expédition, transformée en un exploit à la Cour du Roi ?
Mais une chose est sûre, « Les Chroniques royales d’Ayutthaya » sont trop imprécises pour nous inciter à proposer un récit, mais elles nous ont apprises que le roi Boromtrailok (1448- 1488) fut un réformateur, qui consolida son Pouvoir par des réformes institutionnelles et administratives (la sakdina, la création du titre d’Upparat (traduite comme vice-roi ou roi en second) … ). Il assura la défense de Sukhotai, de Phitsalunok et de Kamphaengphet contre les ambitions du roi de Chiang Maï, avec lequel néanmoins, il put établir en 1475 (1473 pour Coedès) un traité de paix et d’amitié.
Son règne fut aussi marqué par un événement majeur en 1463, qui restera unique dans l’histoire du royaume d’Ayutthaya, à savoir : la conduite du royaume par le roi Boromtrailok installé à Phitsalunok, et celle mené par son fils le Prince Intharacha devenant le roi Boromracha III, depuis sa capitale d’Ayutthaya, sans que les raisons en soient données, On les verra agir de concert ou seul dans différentes « guerres ».
Le roi Intharacha II (1488-1491). (Ou Boromma Ratchathirat III, ou Paramatcha III pour T.C., สมเด็จพระบรมราชาธิราชที่ ).
A la mort de Boromtrailok en 1488, son fils Boromracha III, roi d’Ayutthaya et héritier désigné (Uparat), deviendra le roi Intharacha II. Mais les Chroniques royales ne lui consacreront que 7 lignes pour signaler que sa première action fut de construire les murs de la cité de Phichai et qu’à sa mort son fils, le Prince Chettha accédera au trône à la capitale d’Ayutthaya sous le nom de Ramathibodi II.
Notes et références.
(1) Cette version traduit notre constant souci de compléter, rectifier ou modifier le fruit de nos recherches en fonction de ce que nous découvrons au fil des jours.
« A47. Le deuxième siècle du royaume d’Ayutthaya, 10 rois de 1448 à 1548. » Et http://www.alainbernardenthailande.com/article-50-le-deuxieme-siecle-du-royaume-d-ayutthaya-de-1448-a-1548-suite-et-fin-111070620.html
(2) « The Royal Chronicles of Ayutthaya » : A Synoptic Translation, Cushman, Richard D. & Wyatt, David K. 8.2 x 11.4", 556 pp., Publié par la Siam Society; 1ère édition, Bangkok, 2000.
(3) (ou Ramesuan II ou Somdet Phra Boromma Trailokanat ou Borommatrailokanat)
(4) 48. La sakdina, le système féodal du Siam ?
(5) La chronologie de « Thaïlande Contemporaine » (sous la direction de Stéphane Dovert et Jacques Ivanoff, IRASEC, Les Indes savantes, 2011) le dit ainsi : « Consolidation de la structure du royaume d’Ayutthaya et adoption d’une structure administrative officialisée. Une des nombreuses innovations institutionnelles a été d’adopter la position de l’Uparat, traduite comme vice-roi ou roi en second ».
(6) 51. Un autre royaume thaï au Nord : Le Lanna (1260- 1564 …)
Et encore : A propos du Lanna de XAVIER GALLAND :
En 1385, une guerre de succession amène Ayutthaya à s'immiscer, vainement, dans les affaires du royaume. En 1401, la mort du roi Saen Muang Na marque le début de deux longs règnes qui apportent une certaine stabilité au royaume. Le premier de ces règnes (40 ans) est marqué par des guerres contre Sukhothai, le Yunnan et Ayutthaya. Le second roi, Tilokaracha (1441-87), fait du Lan Na un État crédible avec lequel il faut compter et s'inscrit dans les mémoires comme le plus grand roi que le royaume ait connu. L'accession du roi Trailok au trône d'Ayutthaya (1448) marque le début d'une longue période d'hostilités entre les deux royaumes, illustrée entre autres par la guerre (1451-62) qu'ils se livrent pour le contrôle de Sukhothai. En 1478, le Lan Na doit contenir les armées vietnamiennes qui le menacent sur son flanc oriental.
commenter cet article …