
Voilà encore une contrevérité manifeste que vous lirez pourtant à peu près partout. (1) C’est pourtant une imposture. Certes, si la Thaïlande n’a pas subi de colonisation armée, elle dut subir des abandons de territoires et de nombreux abandons de souveraineté, à tel point que « l’année 1893 doit rester pour les Thaïs qui ne doivent pas l’oublier une année de lamentation et de tristesse » (2).

LES ABANDONS DE TERRITOIRES
Nous étions à l’époque de la « politique des canonnières » Les deux monarques Rama IV et Rama V étaient suffisamment lucides pour savoir qu’ils n’avaient aucun moyen de s’opposer à certains abandons de territoires et durent pratiquer la « politique du bambou » (3). Ce fut alors la signature de multiples « traités d’ « amitié et de commerce », traités inégaux qui consisteront en des abandons de pans entiers de souveraineté sur des territoires soumis à la suzeraineté du Siam même si elle était parfois évanescente ; Ainsi une partie de la Birmanie (rive gauche de la rivière Salween et états Shans) et le nord de la Malaisie revinrent aux Anglais, et le Laos et une partie du Cambodge revinrent aux Français : 456.000 km2 Ce fut une « humiliation nationale » (4), dont le point d’orgue côté français fut la crise de 1893 (5) concrétisée un « procès des vainqueurs » (6) et par 15 années d’occupation militaire à Chantaburi (7).

LES ABANDONS DE SOUVERAINETÉ
Les traités inégaux créèrent au profit de nos nationaux un régime juridique spécifique leur permettant d’échapper au régime fiscal et judiciaire. La France l’étendit de façon extensive - ce que ne firent pas les Anglais- au profit de ses « protégés », sujets siamois mais ressortissant de pays soumis à sa souveraineté leur permettant d’échapper au service militaire en plus des privilèges fiscaux (8). Faute pour la France de pouvoir s’emparer militairement d’une partie du Siam (Laos siamois et Cambodge Siamois) - ce que revendiquait le parti colonial - car opposé aux accords franco-britanniques, la solution d’une conquête coloniale de l’intérieur se fit par une inscription massive de sujets bel et bien siamois mais d’origine étrangère (9). Le régime des capitulations ne disparut qu’en 1925 pour l’essentiel et en 1939 à titre définitif (10).

Les Français ne doivent pas ignorer qu’ils suscitent toujours d’amères pensées parmi les nationalistes thaïlandais dont les territoires perdus sont pour eux en quelque sorte l’Alsace-Lorraine. Ces rancœurs vont ressurgir lors de l’affaire du temple de Preah-Vihar, nous y reviendrons.
Pratiquement inaccessible du coté cambodgien, le temple fut néanmoins attribué par la Cour dite "de Justice" (?) internationale au Cambodge ....

NOTES
(1) A 38 – « LA THAÏLANDE N'A JAMAIS ÉTE COLONISÉE ? VOUS EN ÊTES SÛR ? »
A 218 – « LA THAÏLANDE N’A JAMAIS ÉTÉ COLONISÉE ? (SUITE) »


(3) Rama V fit une analyse lucide et pleine de bon sens de la situation notamment en ce qui concernait l’impossibilité d’organiser une résistance militaire sans avoir à espérer de secours militaire de quiconque : voir notre article A 194 « Le premier projet de constitution de 1885 » :
http://www.alainbernardenthailande.com/2015/09/le-premier-projet-de-constitution-de-1885.html

(4) Nous avons longuement parlé de ces questions frontalières consécutives au traité de 1893 :
13. « Le Siam, L'Isan ...Et ses frontières » : http://www.alainbernardenthailande.com/article-11-le-siam-l-isan-et-ses-frontieres-72124773.html
13.2 « Les Frontières de L'Isan » :
http://www.alainbernardenthailande.com/article-les-frontieres-de-l-isan-72125167.html
204 – « LA QUESTION DES FRONTIÉRES DE LA THAILANDE AVEC L’INDOCHINE FRANÇAISE » :
205 – « LA QUESTION DES FRONTIÉRES DE LA THAILANDE AVEC ’INDOCHINE FRANÇAISE (Suite) ».

(5)
Une opération militaire méconnue : H 16 – « LA « MARCHE DU MÉKONG », UNE VICTOIRE DU CAPITAINE LUC ADAM DE VILLIERS SUR LES SIAMOIS EN JUILLET 1893 ».

(6) Un procès fleuve de la « justice coloniale » :
H 1- « L’INCIDENT DE PAKNAM DU 13 JUILLET 1893 : I - LES PRÉMICES : L’AFFAIRE GROSGURIN ».

http://www.alainbernardenthailande.com/2016/10/h-2-l-incident-de-paknam-du-13-juillet-1893.html

De tels errements judiciaires sont naturellement inconcevables dans la France du XXIe siècle.

(7) L’occupation de Chantaburi : nous en avons parlé dans deux de nos articles.
http://www.alainbernardenthailande.com/2017/11/h17-l-occupation-de-chanthaburi-par-les-francais-une-page-sombre-de-l-histoire-du-siam-1893-1905-premiere-partie.html

H 18 – « 12 JANVIER 1905 : LA FIN DE L’OCCUPATION FRANÇAISE À CHANTHABURI »

(8) Nos nationaux étaient exempts du système fiscal local et échappaient aussi à la Justice locale au profit de la juridiction des consuls. Ils n’étaient que quelques centaines. Mais les consulats français inscrivirent sans la moindre vérification comme protégés des milliers de ressortissants d’origine vietnamienne ou cambodgienne puis des Chinois au motif que n’ayant pas de représentation diplomatique au Siam, la France devait en tenir lieu. Ce fut une véritable colonisation de l’intérieur d’autant que la France s’est toujours opposée à ce que les Siamois en vérifient les listes. Nous avons cité le cas d’un aigrefin grec devenu protégé par on ne sait quel tour de passe-passe (Notre article 130 « L'article 12 du traité de 1856 entre le Siam et la France » in :

(9) Nous avons rencontré le jeune mais prétentieux diplomate Raphaël Réau qui considérait que le meilleur moyen de coloniser le Siam sans verser un goutte de sang était de multiplier les inscriptions systématiques d’habitants du Siam d’origine non siamoise – probablement la moitié de la population. Dans sa correspondance privée publiée post-mortem par l’un de ses descendants, il avoue plus ou moins ouvertement recevoir quelques « cadeaux » des associations chinoises auxquelles il vendait probablement des certificats de protection en blanc. Nous lui avons consacré trois articles :
144. « RAPHAËL REAU, JEUNE DIPLOMATE FRANÇAIS AU SIAM. (1894-1900) » :
http://www.alainbernardenthailande.com/article-144-raphael-reau-jeune-diplomate-au-siam-1894-1900-123941699.html
A 200 – « QUELQUES COMMENTAIRES Á PROPOS DE « RAPHAËL RÉAU, JEUNE DIPLOMATE AU SIAM (1894-1900) »
http://www.alainbernardenthailande.com/2015/12/a-200-quelques-commentaires-a-propos-de-raphael-reau-jeune-diplomate-au-siam-1894-1900.html

Nous retrouvons cette position chez Isabelle Massieu. Ses souvenirs non dépourvus d’intérêt sont pollués par des considérations sur le Siam après huit jours passés à Bangkok, aux termes desquels elle était devenue experte -es sciences politiques siamoises avec les « faut qu’on » et les « n’y a qu’à » qui polluent la correspondance du jeune Réau. Nous lui avons consacré un article : A 192 « A LA DÉCOUVERTE DU SIAM PAR MADAME MASSIEU, UNE « AVENTURIÈRE FRANÇAISE » DE LA FIN DU XIXE » :
http://www.alainbernardenthailande.com/2015/08/a-la-decouverte-du-siam-par-madame-massieu-une-aventuriere-francaise-de-la-fin-du-xixeme.html

(10) Voir à ce sujet nos deux articles : 176. « LA FIN DU RÉGIME DES CAPITULATIONS AU SIAM EN 1925 » : http://www.alainbernardenthailande.com/2015/03/176-la-fin-du-regime-des-capitulations-au-siam-en-1925.html
177 – « LE SIAM DE RAMA VI RETROUVE TOUS SES DROITS SOUVERAINS EN 1925 » :
http://www.alainbernardenthailande.com/2015/04/177-le-siam-de-rama-vi-retrouve-tous-ses-droits-souverains-en-1925.html

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