Chaque pays a ses héros. « Vérité nationaliste au deçà du Mékong, erreur au-delà », aurait pu dire Montaigne.
Nous étions en train de récolter des informations pour évoquer la révolte du roi Anouvong contre son « maître », le roi du Siam, Rama III, avec ses terribles conséquences : sa capitale rasée en 1827, la déportation de tous ses habitants survivants en « Isan », et de sa mort dans des conditions atroces en 1829, lorsque nous avons pu lire un article du « Courrier International » qui titrait : « Une statue pour dire non à la Chine et à la Thaïlande. » Et l’article de poursuivre :
« En dévoilant début novembre (2010) une sculpture du roi Anouvong, symbole de la résistance aux envahisseurs, le petit pays semble adresser à ses voisins un message d'indépendance.
L'érection d'une statue du roi Anouvong à Vientiane, la capitale laotienne, peut être vue comme une contestation directe de la suprématie du voisin thaïlandais ou comme un message fort appelant le régime en place à résister aux tentatives de domination tous azimuts. Il est étonnant que le régime marxiste-léniniste laotien ait choisi un ancien roi - plutôt qu'une icône du communisme ou un héros contemporain - pour incarner sa volonté de renforcer l'image nationale. »
Ainsi le roi Anouvong, le dernier roi de Vientiane, jouait de nouveau un rôle dans l’histoire du Laos ; il redevenait un héros, un exemple à suivre, avec un message à partager : résister face aux puissants voisins, face à la Thaïlande, la Chine, et le Vietnam.
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Les nationalistes thaïlandais n’étaient pas en reste et avaient aussi érigés des statues à madame Mo (Tao Suranaree), la femme du vice-gouverneur de Nakhon Ratchasrima (Korat),
qui avait accompli un fait d’arme contre le rebelle Anouvong et au général Chao Phraya Bodindecha qui l’avait vaincu, rasé sa capitale Vientiane, et déporté tous ses habitants.
Le roi Rama III lui-même avait décerné à l’héroïne de Korat le titre de Thao Suranari. (Elle sera aussi connu sous le nom de Ya Mo (ย่า โม, «grand-maman Mo ») en reconnaissance de ses actes héroïques.
Anouvong avait pris Nakhon Ratchasima (Korat) et menaçait Bangkok. Il avait commencé à rapatrier des prisonniers vers Vientiane, mais Madame Mo, l’épouse du vice-gouverneur, aurait réussi à donner des armes à des prisonniers qui auraient pu se libérer, fomenter une mutinerie, et réussir à s’évader.
De nombreuses histoires et légendes lui attribuent bien des faits guerriers qui en font une héroïne hors du commun. Elle fut un exemple prôné par le mouvement nationaliste à l’époque du maréchal Phibun, dans les années 30.
D’ailleurs le 15 janvier 1934, sa statue fut érigée à côté de la porte de Chumphon de la muraille de la ville de Korat.
Et elle est devenue un objet de dévotion populaire ; Un festival en son honneur est organisé chaque année à la fin de mars et début avril.
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Quant à Singhaseni, qui avait déjà obtenu le titre de Phra Promsurin, Directeur général du Département de police sous le règne de Rama II, connaîtra une ascension fulgurante, et sous Rama III sera élevé au titre de Chao Phraya Ratchasuphawadi et puis au titre de Bodindecha, ayant l’honneur de porter une partie du titre princier du roi de Chatsadabodin.
Après sa victoire sur le roi lao Anouvong, avoir rasé Vientiane, et emmené tous ses habitants survivants dans ce qui deviendra l’Isan, Bodindecha deviendra chancelier et aura l’entière responsabilité de la politique et des campagnes menées au Cambodge pour faire reconnaître le roi cambodgien et les territoires cambodgiens vassalisés pendant les guerres siamoises-vietnamiennes de 1831-1834 et 1841-1845. (Cf. notre article précédent)
Il est devenu un des grands héros thaïlandais. (Cf. son portrait dans un article à suivre.)
De nombreuses statues l’honorent au Wat Sampluem (plus tard renommé Wat Chakrawat Rachawat),
au Wat Maha à Yasothon,
à la Pagode de Wat Tung Sawang Chaiyaphum, Province Yasothon, sans compter un musée à Bangkok,
des écoles,
des rues qui portent son nom, et le camp Bodindecha en 1985, du Tambon Doet de Yasothon, foyer de l’armée royale thaïlandaise du 16ème d’infanterie.
Ainsi Thao Suranari et Chao Phraya Bodindecha sont à ajouter à la longue liste des héros nationaux thaïlandais.
Nous avions déjà en notre article 14 « Les nouveaux mythes thaïs : les héros nationaux. », évoqué « ses « héros nationaux », personnages historiques (ou légendaires) à qui on attribue des actions et des qualités « exemplaires » (réelles ou fantasmées) qui doivent servir à légitimer le régime et proposer des modèles. »
Comme pour chaque pays, on donnera leur nom à des villes, des parcs, des écoles, des musées ; des rues. On érigera des statues, des lieux de dévotion, etc.**
Certes le royaume de Thaïlande a privilégié ses rois. Les Rama et sa famille sont « extraordinaires ». Les nationalistes en ont quand même reconnu d’autres. Nous avions évoqué le grand roi de Sukhotai, Ramkhamhaeng (vers 1279-1298),
le grand roi Naresuan, qui avait redonné son indépendance à Ayutthaya en 1569,
la princesse Suryothai,
la princesse Suphankalaya, (sœur du grand roi Naresuan),
Thep Kasattri et Thao Sri Sunthon, les deux héroïnes de Phuket,
les héros de Bangrachan, Phrayaphichaïdaphak « à l’épée brisée » (Utaradit), etc.
Les manuels scolaires et la philatélie,
disions-nous, donnent une idée de ses « hommes illustres ». Nous vous en avions donné une petite liste. (Cf. article 14**). Ils ont tous joué un rôle dans l’histoire du pays. Et ils peuvent jouer un nouveau rôle dans le présent, au gré de l’actualité.
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Ainsi en va-t-il avec la République démocratique populaire du Laos, dirigé par le Parti révolutionnaire lao d’obédience marxiste-léniniste,
qui a cru bon de faire appel au roi Anouvong, le rebaptiser « héros du peuple », pour en faire le symbole de la résistance aux envahisseurs, lors de l’inauguration de sa statue en bronze de 8 mètres, menaçant la Thaïlande, sabre en main et mâchoires serrées. « Il «rappelle la lutte courageuse contre les conquérants siamois», a précisé le président laotien, Choummaly Sayasone. » (Cf. Le Figaro du 13/12/ 2010 ***)
Curieux choix ! Mais les choix du Parti révolutionnaire lao sont impénétrables.
Le roi Anouvong avait certes mené une guerre contre Rama III, mais il avait été vaincu, sa capitale rasée, ses habitants emmenés en esclavage, et il avait été tué avec tout le raffinement siamois. Il n’aurait pas pu penser 180 années plus tard devenir encore un exemple, un héros national pour le peuple lao.
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*« Le Parti révolutionnaire populaire lao,
au pouvoir, a érigé cette statue à la mémoire de ce grand roi, 182 ans plus tard, et pour marquer le 450e anniversaire de la capitale. Haute de huit mètres, elle est tournée vers l'ouest et au-delà du Mékong, vers la Thaïlande. Le roi tient dans sa main gauche une épée et a le bras droit tendu à l'horizontale. Pour les autorités, la statue, qui présente Anouvong comme un roi courageux qui ne céda jamais à l'emprise siamoise, vient rappeler aux Laotiens que leur pays a besoin d'un dirigeant de sa trempe. De fait, le Laos est un tout petit pays encadré de grands voisins : la Thaïlande au sud et à l'ouest, le Vietnam à l'est et le géant chinois au nord. Pour survivre, il doit maintenir un savant équilibre entre ces puissances.
( The Nation,| Supalak Ganjanakhundee)
**14. Les nouveaux mythes thaïs : les héros nationaux.
Et nos articles sur le nationalisme :
9 : Vous avez dit « nationalisme thaï » ?
13 : Le nationalisme et l’école ?
http://www.alainbernardenthailande.com/article-article-13-le-nationalisme-et-l-ecole-68396825.html
14 : Le nationalisme thaï ?
http://www.alainbernardenthailande.com/article-notre-isan-13-le-nationalisme-thai-73254948.html
*** Cf. Article du Figaro.
« Le Laos résiste à ses voisins avec un géant de bronze. Encastré entre la Chine, le Vietnam, le Cambodge, la Birmanie et la Thaïlande, le petit pays vient d'envoyer un message fort à ses voisins en dévoilant une sculpture de 8 mètres à la gloire du roi Anouvong, symbole de la résistance aux envahisseurs. »
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