Nous nous sommes penchés il y a quelques mois sur les dialectes parlés en Isan* : Nos sources étaient essentiellement linguistiques.
Les ethnologues pour leur part inventorient plus de 70 « minorités ethniques » en Thaïlande et considérent qu’elles couvrent environ 10% de la population, à la fois de très fortes minorités et de minuscules minorités (quelques dizaines ou quelques centaines d’individus) en voie probable de disparitions, tels les malheureux ngos, les négritos, dont il est possible que les ancêtres aient peuplé l’Australie et dont le Tsunami a probablement balayés les quelques survivants qui subsistaient encore dans les îles de la mer d’Andaman ?
Les chiffres que nous donnons proviennent d’une solide étude du « département d’études des civilisations » de l’Université Mahidol de Bangkok (ils sont probablement approximatifs). Dans cette mosaïque, l’Isan n’est pas en reste, puisque deux douzaines de ces minorités regroupant environ 5 millions d’habitants subsistent encore, probablement le quart de la population, en conservant ou tentant de conserver leur particularisme, leur langage, leurs traditions et leurs coutumes.
( Nous incluons la province de Phetchabun, rattachée à l’Isan, par l’histoire et la langue.. A Phetchabun aussi, on ne dit pas « maï pén raï » mais « bo pén yang »). Il nous a étonné de constater que beaucoup d’entre elles, sinon toutes, fussent-elles composées de quelques milliers de personnes, survivent par l’intermédiaire d’Internet (sites ou même revue).
L’Isan est probablement la seule région de Thaïlande où les « arts et traditions populaires » ne se sont pas encore transformés en « Folklore », horrible anglicisme ne recouvrant plus guère – ou que ce soit dans le monde - que des spectacles à usage touristique. Nous les apprécions en particulier dans nos villages lors des cérémonies traditionnelles, familiales comme un mariage traditionnel ou des obsèques, ou religieuses comme Loïkratong ou Sôngkran. On y porte le costume traditionnel et non un déguisement.
Nous ne ferons pas un inventaire à la Prévert de ces minorités mais, chacune d’elle le méritant, essayerons de vous en faire découvrir la richesse en quelques lignes. Nous devons beaucoup à Aymonier, qui a arpenté le « Laos siamois » (en réalité, les provinces qui constituent aujourd’hui l’Isan) à une époque où il lui fallu six jours de voyage pour aller de Khonkaen (composé à l’époque de 150 cases) à Nonghan (30 kilomètres à l’est d’Udonthani) et un mois d’Oubon à Khorat et, bien sûr, au travail de fourmis auquel se livrent les étudiants de l’Université Mahidol.
Les Kouis ou encore Souèï ou Köï ouKwèï กูย (ส่วย – โกย - กวย) dont l’origine ethnique est incertaine (probablement Khmer) sont centrés sur Buriram – Ubon – Khorat – Mahasarakham - Surin – Sisakét et seraient actuellement 400.000 en Isan, dans les régions de l’ancien « Cambodge siamois ». Chers au coeur d’Aymonier, il leur consacre un chapitre (pas toujours bien positif) de ses « Notes sur le Laos ».
Les Khamous ขมุ seraient venus du Laos et – en Isan - se trouvent en particulier à Nan où une quarantaine de villages spécifiquement Khamous regrouperaient environ 12.000 personnes.
Les Yahakous ou Chaôbôns ญัฮกูร (ชาวบน) sont des Khmers d’origine parfois musulmane actuellement centrés sur Khorat - Chayaphum et Phetchabun et sont actuellement environ 6.000. Aymonier les considère comme une tribu « aussi sauvage que misérable ».
Les Thins ถิ่น viennent du Laos et on en trouve actuellement 40.000 répartis dans les provinces de Nan, Phetchabun et Loeï.
Les Thaïs lus ไทยลือ seraient originaires de Chine et se sont répandus au Laos, en Birmanie et dans toute la Thaïlande où ils seraient 100.000 principalement à Nan. Ils ont un site Internet fort bien ficelé, http://www.tailue.org/, évidemment en thaï.
Les Phouans พวน qui seraient 200 ou 300.000 dans la region d’Udon ont eux aussi leur site Internet http://www.thaipuan-bannsile.com/ et sont ou seraient d’origine lao.
Mais qui sont ces Malaboris ou Malabris, มลาบรี prononciation incertaine, même pour les Thaïs dont il subsisterait 200 individus dans la Province de Nan ? Une tribu de la jungle dont l’origine est incertaine et qui se meurt.
Tout le monde connaît le sort des malheureux Môngs ม้ง, héros des guerres perdues, trahis par les Français puis les Américains, ils sont dans les regions de Loei, Nan et Phetchabun environ 150.000. Les plus heureux d’entre eux sont actuellement en France ou en Guyane française. Ils ont de nombreux sites dont http://www.hmongseo.com/
Les Mïans เมยีน une tribu qui revendique une origine chinoise en passant la le Laos, était spécialisée autrefois et peut-être encore dans la culture de l’opium dans la région de Phetchabun, il y aurait 45.000 représentants ?
Les Laoskhrangs ลาวครัง appartiennent à un groupe ethnique importé du Laos par la force. Beaucoup de chrétiens dans une population, en particulier à Loei, aux environs de 90.000 personnes.
Les Louas ลัวะ une tribu originaire qui pretend à une ascendance mythique et qui aurait actuellement encore sur la province de Nan 22.000 représentants ?
Les Sèks แสก seraient une tribu originaire de Chine, représentée à Nakhonphanom par encore 3.500 personnes regroupées dans quatre villages.
Les Yos (Sô) ญ้อ โซ, originaires du Laos, sont actuellement 70.000 dans les provinces de Nongkhaï, Sakhonnakhon, Nakhonphanom, et Kalasin.
Si l’essentiel de la population d’origine malaise มาลายู (probablement 4 millions de personnes dans le pays) vit dans le sud, soit qu’elle y ait été importé de force soit qu’elle en soit originaire (pour les provinces sécessionistes du sud), elle comporterait, en particulier dans la région de Khorat, de nombreux foyers qui pratiquent la religion de leurs pères. S’il est un domaine où les statistiques peuvent blesser, c’est bien celui-là.
Les Kaloengs กะเลิง seraient issus d’une tribu originaire et sont répandus dans les provinces de Nongkhai, Sakhonnakhon, Nakhonphanom, Kalasin, Mukdahan, ils sont ou seraient 70.000.
Les Yoïs โย้ย sont issus d’une tribu originaire et représentent 50.000 personnes dans les provinces de Nongkhai et Sakhonnakon.
Les Yeus เญอ sont apparentés aux kouis et, dans les provinces de Buriram, Surin, Sisakét environ 150.000.
Les Sôngs โซ้ง originaires du Laos sont 120 000 en particulier à Loei.
Les Phouthaïs ผู้ไท, noirs ou blancs, seraient originaires de Dien-Bien-Phu, « le pays de la courge » et se retrouvent 470.000 dans les provinces de Kalasin, Sakonnakhon, Nakhonphanom, Mukdahan. Aymonier leur attribue une origine similaire. Apparemment fort actifs, ils animent un sympathique site Internet http://www.puthai.net/
Les Khmers thinthaïs เขมรถินไทย installés à Surin, Sisakét, Buriram, Khorat, Oubon, Mahasarakham, Loeï sont tout simplement les habitants de ce que l’on appelait le « Cambodge siamois » ou les descendants de Khmers importés de force. Ils représentent 1.400.000 personnes.
Les Khas encore appelés Brou ou So ชาวข่า บรู (บรุ) โซ่ issus d’une tribu probablement d’origine khmer ne sont plus dans les provinces d’Oubon et Mukdahan que 500.
Les Vietnamiens เวยีดนาม que les thaïs appellent Yuan ญวน sont de tout temps venus au Siam, plus industrieux que les Thaïs ou les Laos assurément, pour y exercer le négoce, pratiquer la culture du riz dans laquelle ils excellent ou tout simplement, selon Aymonier, pour échapper à la misère. De fortes colonies (20.000 personnes) sont présentes à Nakhonphanom, Sakhonnakhon, Mukdahan, Nongkhai, Oubon, Loei, Oudonthani où foisonnent les clochers des églises catholiques. Présents de tout temps ou réfugiés en Thaïlande lors de la chute de Saïgon en 1975, ils avaient précédé leurs compatriotes, thaïs originaires de l’importante minorité thaïe de Dien-Bien-Phu. A l’instigation probable des « chefs de villages », par anti-communisme aussi, parce qu’ils étaient catholiques enfin, quelques milliers d’entre eux- 6 ou 7.000 - s’engagèrent sous nos drapeaux et furent incorporés dans trois bataillons de l’infanterie coloniale de la Légion étrangère dont l’un mis sur pied par le général Bigeard. Leur démarche n’était en tous cas pas dictée par la cupidité des mercenaires puisqu’ils n’avaient pas droit, comme supplétifs, à la (modeste) prime à l’engagement dont bénéficiaient leurs compagnons de combat. Leur engagement s’enracinait dans une rencontre au pays Thaï à la fin du XIXème siècle : celle de Deo Van Tri,
le chef des Thaï de Laï Chau et de Son La, et du grand Pavie. Leur tenue au combat suscita des opinions chaleureuses du général Salan et du commandant Hélie Denoix de Saint-Mars. Le premier bataillon fut d’ailleurs honoré de la fourragère. Quelle que fut leur vertu guerrière, ils se refugièrent avec famille, armes et bagages en Thaïlande après la chute de Dien-Bien-Phu, tout au moins pour ceux qui purent échapper au massacre. Le monument aux morts édifié sur le site honore-t-il aussi ces « étrangers devenus fils de France non pas le sang reçu mais par le sang versé » ? Espérons-le, car ces malheureux sont bien oubliés de notre histoire de France.
La tribu des Umpis อึมปี ne comporte plus que quelques centaines de représentants dans la province de Nan, en voie de disparition nous dit l’étude l’universtié Mahidol, tout comme celle des Sôs (thawung) โซ่ (ทะวืง) dans la province de Sakhonakhon (Ce ne sont pas les Sôs โซ !)
Nous ne sommes plus à l’époque de Pavie, d’Aymonier et de Francis Garnier où il fallait une journée de marche hors saison des pluies pour aller de Kalasin à Khonkaen, et où l’endogamie était la règle. Il est probable qu’alors, on ne se comprenait pas d’une province à l’autre et que les caractéristiques physiques de ces ethnies étaient beaucoup plus apparentes que de nos jours ...
Tous les habitants de l’Isan ont un jour ou l’autre posé les pieds à Bangkok pour y découvrir les « bienfaits » de la société de consommation, tous parlent, bien ou mal, le thaï de Bangkok et tous regardent la télévision thaïe aussi affligeante soit-elle. Ces ethnies conservent ou tentent de conserver leur spécificité par l’Intermédiaire d’Internet. Le département linguistique de l’Université Mahidol recueille et préserve précieusement les éléments linguistiques dans son département « projet de restauration des langues et des coutumes locales ». Elle édite sur chacune d’entre elles après enquète approfondie auprès des « vieux », village après village, province après province, une belle brochure (en thaï) remarquablement illustrée de quelques dizaines de pages, selon le même plan : histoire – statistiques – localisation – architecture - langue – habillement – religion – métiers – croyances – fête de l’eau – mérites – traditions – nourriture (et même des recettes dont je vous défie de goûter à moins que celle du rat bouilli ne vous attire !) – médecine traditionnelle.
Il est permis de s’interroger sur l’avenir de ces ethnies ?
Faire des parcs plus ou moins limités de ces villages consiste à en faire des espèces de zoos dignes de l’exposition coloniale de 1931,
où les indigènes étaient exposés telles des bêtes. Dans ces magnifiques paysages, le pilier en béton et l’antenne de la télévision brisent un équilibre, mais leur absence prive les populations du confort minimum et de l’ouverture vers le monde extérieur auxquels elles ont droit comme les autres.
Les ethnies avec leurs beaux costumes, c’est très joli quand l’on passe quelques heures dans un de ces villages perdus de nos plaines, mais lequel d’entre nous accepterait d’y passer sa vie ?
Peu importe que le magnifique costume Phouthaï (importé d’une usine chinoise) soit porté par une Lue, le plus important est la photo que l’on va prendre avec les rizières en arrière plan mais n’oubliez pas de vous demander s’il est possible de passer avec 18 heures par jour les pieds dans l’eau en plein soleil ?
Leur culture ne se définit pas au travers de quelques bouts de tissus ou d’un niveau de vie n’ayant guère évolué depuis des siècles. Une spécificité ethnique, c’est une façon de vivre, une manière de penser et d’agir qui ne changent pas par le seul fait d’avoir accès à un minimum de confort ou de quitter des habits qui par le passé n’étaient que des signes visibles d’appartenance à ces peuples minoritaires. Une espérance de vie plus longue, des maladies, dont certaines mortelles, plus rares, une éducation plus poussée sont des éléments positifs jugés par beaucoup comme une normalité, qui n’ont pas forcément un aspect pervers lorsque ces progrès viennent « embellir » une vie déjà rendue difficile par le simple fait de naître dans des lieux souvent inhospitaliers.
Saluons, en espérant qu’elle ne soit pas un nième voeux pieux, la conférence générale de l’UNESCO qui, le 20 octobre 2005, après des années de discussions abscondes s’est décidée à approuver la « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles »
------------------------------------------------------------------------
Références :
Site de l’Université Mahidol :
http://www.langrevival.mahidol.ac.th/Research/website/mb.html
« Encyclopedia of ethnic groups in Thailand » (Université Mahidol) 20 fascicules (en thaï) publiés à ce jour dont 10 concernent nos ethnies de l’Isan disponibles via :
http://rilca.mahidol.ac.th/e-resources/en/encyclopedia.php
Aymonier « notes sur le Laos » (1885).
Aymonier « la société du Laos siamois au XIXème » (Reprint 2003)
Mouhot « Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos » (1868)
Lucien de Reinach « le Laos » (édition posthume 1911)
Edouard Petit « Francis Garnier, sa vie, ses voyages, son oeuvre » 1894.
ความรู้รอบตัว ฉบับ ทันโลก 2003 sans référence ISBN
Regnier et Lt Cl David « les bataillons thaïs en Indochine » 2010 Editions « le Pays de Dinand.
Et bien évidemment toutes celles que vous trouverez dans notre article précédent :
http://www.alainbernardenthailande.com/18-categorie-11720702.html
Notamment la liste des sites propres à chacune de ces ethnies où vous trouverez de précieux renseignements en sus de la question linguistique.