A Propos de Dominguos de Seixas, pour le film La Légende de Suriyothai de Chatrichalerm Yukol (2001).
Deux estimables correspondantes portugaises nous corrigent à propos du mercenaire portugais Domingos de Seixas. (Cf. article*)
Dans l’article 51 nous avions écrit : Ensuite nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce Domingos de Seixas et son témoignage, que le making of du film (La Légende de Suriyothai) présentait comme l'un des documents les plus importants sur l'histoire thaïlandaise de cette période (et dont le rapport au roi Johan III du Portugal était enregistré par le Comité portugais des historiens) (sic).
Or, nous n’avons trouvé aucune trace de l’existence de ce mercenaire, ni de référence pour ces fameux « documents », outre ceux reprenant « l’information officielle » du film.
On s’est demandé alors s’il était crédible qu’un simple mercenaire de base comme Seixas puisse adresser une « correspondance » au Roi du Portugal ? (comme par exemple un marin français de l’ambassade de 1685 au Roi Louis XIV ?)
Or, Madame Deana Barroqueiro
nous informe :
« Dominguos de Seixas a vraiment existé. Il a vécu plus de 20 ans au Siam, en tant que commandant d’une force de soldats portugais (artillerie et mousquets). Le rapport qu’il a écrit au roi D. João III (selon l’usage des portugais qui faisait des missions d’espionnage et de commerce à l’Orient) existe dans les Archives de la Biblioteque Nacional de Lisbonne, mais il faut y aller pour le consulter. Le roi a essayé de le libérer et a envoyé une ambassade à Ayuthya. Domingos de Seixas est mort à Lisbonne. Donc l’histoire de ces guerres est, en effet, racontée par Domingos de Seixas et par Fernão Mendes Pinto.


Nous sommes il est vrai passé peut-être un peu rapidement sur le grand Jean III qui régna sur un empire recouvrant trois continents ? Elle prépare, nous dit-elle – un roman sur l’histoire de Domingos de Seixas et Fernão Mendes Pinto. Voilà bien une publication que nous attendons avec intérêt. Comme nous le lui avons répondu, la correspondance du marin se trouve en ses archives nationales auxquelles nous n’avons pas accès, et la Biblioteca nationale de Portugal – nous sommes naturellement allé nous promener sur son site Internet – n’a pas (encore ?) entrepris l’immense tâche de numérisation comme la Bibliothèque nationale de France.
Ils nous semblait impensable qu’un monarque du XVIème puisse recevoir la correspondance d’un simple matelot ?
Tel n’était apparemment pas le cas de Jean III. Sommes-nous encore trop imprégnés de l’ « Histoire de France » comme on nous l’a apprise dans les années 50 ? Nous avions en mémoire la réception de Jean Bart à la Cour par le Roi Louis XIV qui fit scandale,
recevoir Forbin (de l’Ambassade de Louis XIV venue au Siam), évidemment, sa noblesse est immémoriale, mais un corsaire la pipe à la bouche et des bottes crottées aux pieds ! Louis XIV est reponsable de l’étiquette qui régnait à Versailles et qu’il transmit d’ailleurs à Philippe V son petit fils à la Cour d’Espagne. La trace que nous en trouvons dans le film de Gérard Oury « La folie des grandeurs » est à peine caricaturale ! Pour faire entrer leurs gourgandines à Versailles, Louis XIV et Louis XV durent les gratifier de solides mais fantaisistes lettres de noblesse, y compris la dernière en date, Madame du Barry qui venait d’un lupanar parisien.
Louis XVI eut une vie conjugale plus sage mais aucun d’eux ne s’est jamais intéressé « à la France d’en-bas », n’a jamais quitté Paris ou Versailles autrement que pour se marier (Louis XIV), faire semblant de participer aux campagnes mitiaires (Louis XV pendant la guerre de succession d’Autriche) ou prendre une fuite éperdue (Louis XVI). L’admission « aux honneurs de la Cour » nécessitait (en principe) la preuve d’une immémoriale noblesse c’est à dire datant d’avant l’an 1400 et conférait automatiquement à son bénéficiaire un titre de Marquis. L’éloignement de leur « bon peuple de France » par nos monarques ne fut pas l’une des moindres causes de la chute de la monarchie de droit divin.
Tel donc, ne fut apparement pas le cas de Jean III qui eut probablement autant d’intérêt à lire les correspondances de ses marins que celles de ses amiraux. Ce seraient d’ailleurs un réseau d’informateurs qui aurait permis à Jean II son précédesseur médiat de diriger les grandes découvertes de Dias ?
Il est parfois des leçons à tirer de l’histoire, Alexandre partit à la conquète du monde en compagnie de 40.000 compagnons macédoniens. Lorsque les liens d’amitié furent rompus, qu’il se prétendit fils de Zeus et qu’il exigea d’eux qu’ils pratiquent à son usage prosternations et prosternements à l’instar des tyrans asiatiques qu’il avait vaincus et qu’ils ne soient plus ses amis mais ses féaux, sa chute était irrémédiable. C’est tout au moins ce que nous contèrent Ptolémée et Plutarque.
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La seconde nous est venu de Paris et concerne le même sujet, sous le plume de Madame Maria- Fernanda Pinto.
Pour Alain et Bernard, qui sont étonnés qu’un pauvre mercenaire de base comme Domingos Seixas , puisse adresser une « correspondance » au Roi du Portugal , que c’était comme si par exemple, un marin français de l’ambassade de 1685, se serait permis d 'écrire au Roi «Soleil»… Peut-être que le roi Jean du Portugal aimait avoir des nouvelles en direct de ses sujets, partis loin à la découverte d’autres mondes ? On commence un joli débat historique par mettre en doute l’existence dans personnage de la « Pérégrination » de Fernão Mendes Pinto, juste parce que à aucun moment dans ces documents il n’y avait aucune ligne concernant la princesse Suriyothai ?
Je n’ai pas vu le film ! Il va falloir que je comble cette lacune pour savoir qui était cette importante princesse et…ce qu’elle a fait !
Nous lui conseillons bien évidemment de voir le film « Suriyothai » ; historique ou pas, c’est du grand Coppola.
Elle souligne la relativité des notions historiques en nous indiquant avec humour que l’on peut tout à la fois parler de la « campagne » de Napoléon au Portugal ou de « l’invasion » du Portugal par Napoléon (qui fut en tout état de cause un lamentable échec de Junot). Nous avons souligné que ce que disait le grand Pascal de la Justice (« plaisante justice qu’une rivière borne, vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà ») valait pour les historiens aussi.
Vérité à Lisbonne, vérité au Siam ?
Les Portugais ont participé avec héroïsme à la guerre de 14-18 et ont laissé plus de 2.000 hommes sur le terrain, c’est peu pensez-vous ? Un gros million d’habitants à l’époque, une entrée en guerre au printemps 1916 et un corps expéditionnaire de 50.000 hommes.
Le Siam aussi, laissa 19 morts (probablement aucun au combat ?) et un monument très triomphaliste à ses morts héroïques.
Vérité à Paris, vérité au Siam ? Le grand romancier provençal, Pierre Boulle, il avait « payé pour voir », nous conte avec un humour cinglant (« Aux sources de la rivière Kwaï », Julliard 1966) l’histoire de la guerre franco-thaïe de 1941 dont nous avons parlé en essayant de nous abstraire de quelque cocorico que ce soit.
La vision thaïe est entièrement divergente. Etonnant, non ?
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Vos observations, Mesdames, ne nous ont pas été inutiles, elles le seront plus encore lorsque nous nous pencherons sur l’arrivée des Portugais au Siam sous le règne de Manuel Ier, cousin et successeur de Jean II.
Voir notre article :
A 51. Cinéma thaïlandais : http://www.alainbernardenthailande.com/article-a-51-cinema-thailandais-la-legende-de-suriyothai-95050366.html
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