Nirat Phukhao Thong (« Le Nirat de la Montagne Dorée »)
Il nous a semblé intéressant de vous proposer la lecture du Nirat Phukao Thong qui est considéré « par bon nombre de spécialistes de la littérature thaïe comme le plus beau nirat de Sunthorn Phu ». Il est traduit par Frédéric Maurel dans son livre « Clefs pour Sunthorn Phu ». (Cf. article précédent). Il le présente comme un « poème de 176 vers écrit en klon paet (vers en principe octosyllabique) (…) Phu le composa vraisemblablement vers 1828, au début de sa « traversée du désert » (1824-1851), alors qu’il effectuait un pèlerinage au Stûpa Phukhao Thong à Ayuthaya. […] Pour la première fois dans l’histoire du nirat, le personnage de l’être aimé n’est pas une femme, mais un homme, qui plus est, le monarque défunt, Rama II (1809-1824). »
Nous vous le donnons tel quel, sans explications, pour que vous puissiez « l’apprécier » par vous-même. Notre prochain article vous proposera une lecture possible.
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1 Au onzième mois, ma retraite terminée,
2 Je reçois mes étoffes avec une grande joie.
3 Je salue le monastère et monte dans le bateau avec beaucoup de regrets.
4 Je sors du temple et regarde ce lieu
5 Où je suis demeuré durant le trut, le sat et le vassa,
6 Trois saisons sans danger durant lesquelles je me sentais bien,
7 Je suis obligé de quitter ce temple dans la soirée.
8 Oh ! Temple Rajaburana, grand monastère,
9 Dorénavant, et pendant longtemps, je compterai les jours avant de te revoir.
10 J’y songe profondément et mes larmes sont prêtres à couler.
11 C’est parce que je suis tourmenté par des hommes mauvais que je pars.
12 Avoir recours au Supérieur du Monastère,
13 C’est impossible, c’est comme si j’utilisais un bol à la place d’un saladier, je ne suis pas satisfait.
14 Il est donc nécessaire que je quitte ce monastère.
15 Je pars, l’âme solitaire, sur le fleuve.
16 Arrivé devant le Palais Royal, c’est comme si mon cœur se brise,
17 Je pense à Votre Majesté.
18 Ô mon excellent roi !
19 Autrefois, j’étais à votre service matins et soirs.
20 Depuis que vous êtes parvenu au Nirvana, c’est comme si ma tête s’était cassée,
21 Car je suis sans parents et pauvre ; j’en suis fort malheureux.
22 De plus, je tombai malade et fus voué à toutes les calamités.
23 Je ne voyais aucun endroit où me réfugier.
24 Dorénavant, j’appliquerai la Loi avec persévérance et vous offrirai une part de mes mérites.
25 Je me comporterai sereinement pendant toute ma retraite.
26 Ces actes constitueront l’hommage de votre serviteur à votre vertu.
27 Je demande à être l’esclave de Votre Majesté, d’être près d’elle pour toutes les vies à venir.
28 Arrivé devant les maisons flottantes, j’aperçois les Barques royales.
29 En pensant au temps jadis, mes larmes coulent ;
30 Le Phra Chamoen Wai et moi avions l’habitude de nous prosterner pour vous accueillir.
31 Puis, nous montions dans la Barque Royale au Trône Doré.
32 Vous composiez des vers, puis vous les modifier ;
33 Je recevais l’ordre de les lire.
34 Jusqu’aux cérémonies du Kathin, sur les rivières et les canaux,
35 Je n’ai jamais été contrarié.
36 Je me prosternais près de vous et sentais votre odeur
37 Dont les effluves parfumés flattaient mon odorat.
38 Votre règne fini, le parfum s’en est allé.
39 Ma bonne fortune s’est évaporée comme lui.
40 En regardant dans le Palais, je vois encore la tour où sont conservées vos cendres.
41 J’acquerrai des mérites pour votre Majesté
42 Et pour le roi actuel,
43 Pour qu’il soit pur, qu’il échappe aux dangers et qu’il gouverne la Cité avec bonheur.
44 Arrivé au monastère du Temple du Pilier,
45 Je ne vois pas la borne ; on dit qu’il s’agit d’un pilier en pierre.
46 Il marque la limite de notre cité.
47 Eternel est son nom illustre.
48 Puisse la grâce du Bouddha m’aider :
49 Même si je meurs, je souhaiterais renaître
50 Et vivre longtemps pendant dix mille ans, autant que cette borne en pierre,
51 Et que le Ciel et la Terre, comme il me plaira.
52 Au-delà du Monastère, je contemple les quais au bord de l’eau.
53 Des rangées de maisons flottantes sont amarrées là en permanence, on y vend des marchandises :
54 Des soieries, des étoffes en tous genres de couleur pourpre ou verte,
55 Ainsi que des objets blancs et jaunes, et des marchandises pour les sampans.
56 Je parviens à une distillerie dont les alambics rejettent une épaisse fumée.
57 Une calebasse est attachée à l’extrémité d’un poteau.
58 Ô péché, ô breuvage infernal qui me brûle la poitrine !
59 Tu me rends ivre et comme fou ! Quelle honte !
60 J’ai acquis des mérites, pris le froc, pratiqué le rite de la libation et ai demandé
61 Au Bouddha-l’Omniscient de parvenir à l’état d’Illumination
62 Suprême auquel j’aspire.
63 Bien que l’alcool ne m’ait jamais détruit,
64 Je ne m’en approcherai plus, je détournerai mon regard et l’ignorerai.
65 Cependant, même si je ne suis plus ivre d’alcool, je suis encore ivre d’amour.
66 Comment cesser d’y penser,
67 Bien que mon ivresse causée par l’alcool se dissipe en fin de matinée,
68 Mon ivresse sentimentale, en revanche, s’empare régulièrement de moi toutes les nuits.
69 Arrivé au Village de la Séparation, je réalise que j’ai quitté le temple et que je suis séparé des miens.
70 Je me sens souillé, honteux et découragé.
71 Parce que l’amour est insipide et éphémère,
72 J’ai dû me forcer à quitter Bangkok.
73 Parvenu au Village du Bétel, je pense à ma compagne qui
74 Avait l’habitude de me donner des chiques de bétel jaune.
75 J’arrive au Village de la Séparation ; comme ce village, j’ai été séparé et j’en ai été tourmenté :
76 J’ai été privé de ma Ville et de ma bien-aimée, je deviens anxieux.
77 J’arrive au Village du Pippal. Ô Saint, Splendide, Grand Figuier Sacré !
78 Ton ombre, propice à la Cessation, et ton tronc produisent tous leurs phala.
79 J’invoque la puissance du Bouddha
80 Afin d’être serein, d’échapper aux dangers du mal, et de garder un corps sain.
81 Parvenu au Village des Viêtnamiens, je vois de nombreuses échoppes
82 Où l’on vend des crevettes et des poissons entreposés dans des nasses.
83 Devant les boutiques, on a aligné des filets sur des piquets.
84 Des femmes et des hommes viennent ensemble regarder.
85 Je me retourne : je ne vois plus les endroits que j’ai traversés.
86 Je souffre, me sens triste, mon cœur se consume.
87 J’arrive alors au Temple de l’Aiguille qui brille de tout or.
88 On vient juste d’y célébrer une fête avant-hier.
89 Oh ! jadis, lorsque Votre Majesté
90 Etait venue lier les bornes de ce sanctuaire, j’avais fait des offrandes avec contentement.
91 J’avais admiré les tablettes votives fixées au mur.
92 Il y en avait quatre-vingt-quatre mille, et je leur avais rendu hommage.
93 Oh ! Aujourd’hui, je ne puis assister à la célébration de cette fête,
94 Parce je suis tombé en disgrâce.
95 J’ai acquis peu de mérites, et je dois accepter mon sort.
96 Dès que notre bateau atteint le fleuve, il est pris dans les remous.
97 On voit l’eau qui, en tournant rapidement, forme des tourbillons.
98 L’eau revient sur elle-même, nous éclabousse et s’abat en claquant sur l’embarcation.
99 Certains tourbillons, énormes et circulaires, pareils à des roues de charrettes, rejaillissent.
100 Il semble qu’ils changent de forme et qu’ils dérivent en tournoyant.
101 A la proue et à la poupe, nous tirons avec force sur les rames.
102 Puis, nous continuons notre route au milieu du chenal.
103 Oh ! Notre bateau a échappé aux tourbillons du fleuve,
104 Mon coeur, lui, est toujours pris dans les turpitudes de l’amour, et ne peut s’en dégager.
105 Parvenu au Marché Cristallin, je ne vois pas de marché.
106 Sur les deux berges, il n’y a que des vergers.
107 Oh ! La bonne odeur de fleurs qui flotte près de la rivière,
108 Pareille au parfum de la soie teinte en noir ébène.
109 Je vois un grand saraque à proximité de la rivière, dissimulé par des zalaques.
110 Le tout est entremêlé à des anacardiacées et à des lianes ; c’est très étrange,
111 Il en est de même de ma tristesse et de mon chagrin qui s’entremêlent,
112 Des sentiments motivés par une absence d’amour et de passion.
113 Nous arrivons dans la région de Nontaburi; sur le fleuve, se tient le Marché de l’Esprit Vital.
114 Des maisons flottantes sont amarrées les unes aux autres, et l’on y vend des oies de toutes sortes
115 Ainsi que des produits du jardin, dans des bateaux tous alignés.
116 Femmes et hommes se réunissent là, jour et nuit.
117 Arrivé au Village de la Terre, ma tristesse s’accroît.
118 Cette séparation, ajoutée à mon malheur, me fait sangloter.
119 Ô terre massive, tu t’étends à perte de vue,
120 Jusqu’à atteindre deux cent quarante mille yojana dans la totalité des Trois Mondes.
121 En cette période de malheur, même mon petit corps
122 N’a pas trouvé un seul endroit sur cette terre où se réfugier.
123 Des épines s’enfoncent partout en moi, je souffre,
124 Comme un oiseau sans nid qui erre tout seul.
125 Nous arrivons dans la région du Village des Môns en empruntant un chenal. Autrefois,
126 Les filles nouaient leurs cheveux en un beau chignon, conformément à la tradition.
127 A présent, les femmes mônes s’épilent autour de leurs toupets à la manière des poupées;
128 Elles poudrent leurs visages et enduisent leurs cheveux de suie, comme le font les femmes thaïes.
129 Oh ! Ce changement est d’un commun ; quelle inconstance !
130 Il en est de même des hommes et des femmes qui rejettent leur nature.
131 Je réfléchis : les hommes et les femmes n’ont-ils pas plusieurs cœurs ?
132 Que le cœur de quelqu’un soit unique, il ne faut pas y compter.
133 Nous arrivons au Village de la Parole : parler correctement y est bien vu.
134 Certaines gens, ici, se délectent des belles paroles.
135 Si on s’exprime de manière incorrecte, c’est la mort, la destruction de l’amitié.
136 On apprécie ou rejette un homme selon ce qu’il dit.
137 J’arrive au Nouveau Village ; il est dans mon intention de
138 Chercher un nouveau logis, conformément à mon désir.
139 Je demande aux divinités de l’exaucer,
140 Et d’avoir une vie heureuse et sans danger.
141 J’atteins le Village des Figuiers. Oh ! Ces figues sont fort étranges.
142 Des moucherons surgissent de l’intérieur.
143 Il en est de même des personnes viles : elles ont une bonne apparence, mais elles sont mauvaises intérieurement.
144 Elles sont comme ces figues ; c’est vraiment détestable.
145 En parvenant au Village du renoncement à la Luxure, c’est comme si je renonçais à l’amour.
146 J’ai lutté pour me détacher des honneurs et de la vie conjugale, afin d’entrer en religion.
147 J’ai dépassé toutes formes de luxure.
148 Même si une fée venait, elle ne me satisferait pas.
149 Arrivé aux Trois Collines, j’éprouve de la tristesse en pensant à Votre Majesté
150 Qui veillait sur cette cité comme s’il s’agissait d’une Capitale.
151 Vous avez donné un nouveau nom à cette ville et vous l’avez établie cité de troisième de classe.
152 Vous l’avez baptisé la Ville du Lotus Royal parce qu’il y pousse des lotus.
153 Ô mon Bienfaiteur, bien que vous ayez disparu sans jamais revenir,
154 Le nom que vous avez donné à cette ville reste encore connu partout.
155 Oh ! Et moi, à qui vous avez donné le nom de Sunthorn,
156 Je n’ai pu échapper au temps comme a pu le faire cette localité, ce qui accroît ma tristesse.
157 Votre règne terminé, mon nom s’en est allé avec vous.
158 J’ai dû errer et chercher un asile.
159 Si je renais, quelle que soit ma condition,
160 Je demande à être l’esclave de Votre Majesté.
161 Quand a pris fin Votre Règne, j’ai demandé à ce que ma vie prenne fin aussi,
162 Et que je ne sois pas éloigné de Votre Majesté.
163 Une grande inquiétude s’empara de moi ; mon affliction augmenta.
164 Chaque jour, je me forçais à vivre.
165 J’arrive au Village des Kapokiers où l’on ne voit que d’immenses kapokiers.
166 Il n’y a aucun animal sur leurs branches
167 Parce que les épines y sont nombreuses.
168 Je réfléchis : ces épines sont terrifiantes, je les redoute.
169 Les kapokiers des Enfers en ont de seize pouces, et elles sont pointues
170 Pareilles à des piques acérées ; elles pénètrent, puis elles se brisent.
171 Après sa mort, celui qui a commis l’adultère
172 Doit grimper à ces arbres ; mes poils se hérissent.
173 Depuis que je suis né,
174 J’ai toujours vécu sans jamais me corrompre.
175 Mais aujourd’hui, on se conduit mal.
176 Devrai-je moi aussi grimper aux sommets de ces arbres ?
177 Oh ! Je pense à tout ce dont je me suis séparé.
178 Mais je n’arrive pas à me détacher de la passion et de l’amour.
179 Je m’assieds, réfléchis ; j’éprouve de la tristesse.
180 Je parviens à la grande Ile de Rajakhram dans la soirée.
181 Sur les deux rives, il me semble que les maisons s’éloignent les unes des autres.
182 Je prends garde aux animaux aquatiques qui pourraient me faire du mal.
183 C’est un repaire de bandits qui opèrent en permanence.
184 Ils rôdent, bien dissimulés, et pillent les bateaux ; c’est très fâcheux.
185 Le Soleil disparaît et laisse place à un ciel ouvert.
186 Il semble que l’obscurité soit totale et s’installe dans toutes les directions.
187 Nous atteignons un raccourci qui coupe à travers les rizières.
188 Des massettes, des roseaux, des sorghos et des joncs se dressent, tout enchevêtrés,
189 Formant des reflets dans l’eau de l’inondation; je regarde cette vaste étendue.
190 Cette immensité me rend sinistre, je ne peux m’empêcher de regarder en arrière.
191 Je vois des jeunes gens, l’air préoccupé, qui marchent bruyamment.
192 De nombreuses barques de pêcheurs, bien profilées, arrivent ensemble.
193 Ils font avancer l’embarcation avec agilité à l’aide d’une perche, et se déplacent en file.
194 Notre bateau se meut toujours avec difficulté.
195 Nous devons constamment utiliser la perche, ce que nous n’avons pas l’habitude de faire.
196 En poussant, à un moment, on entend un bruit : nous sommes rentrés tout droit dans les herbes touffues.
197 Nous reculons lentement à l’aide de la perche avec précaution.
198 Le bateau tangue : le crachoir se renverse.
199 Tranquilles et silencieux sont les animaux sauvages et les oiseaux.
200 La rosée tombe en gouttelettes, tandis que le Vent souffle.
201 Ne voyant pas notre chemin, nous devons rester immobiles au milieu des champs.
202 A peine sommes-nous arrêtés que de nombreux moustiques nous piquent.
203 Il s’agit d’un essaim qui nous assaille, comme du sable projeté.
204 Nous devons nous asseoir et les chasser avec la main, sans pouvoir dormir.
205 Je me sens vraiment inquiet et seul.
206 Dans l’immensité des champs, je ne vois que des sorghos, touffus et saillants.
207 Quand la nuit arrive, les étoiles scintillent dans le ciel.
208 A minuit, une grue plane au-dessus de nous et trompette bruyamment.
209 Le coassement perçant des grenouilles et des reinettes se joint aux stridulations continuelles des grillons.
210 Le Vent souffle doucement et continuellement, j’en suis saisi d’effroi.
211 Je me sens seul, je pense
212 Au temps jadis, lorsque j’éprouvais encore un grand bonheur.
213 J’étais heureux avec mes amis et nous étions toujours ensemble.
214 J’étais entouré de personnes qui prenaient soin de moi.
215 Oh ! En ce temps de douleur, je ne vois que le petit Phat
216 Qui m’aide à chasser les moustiques de mon corps et qui ne s’éloigne pas de moi.
217 Lorsque la lune est bien visible, j’aperçois des grappes de marrons d’eau et des touffes de laitues d’eau,
218 Puis, quand arrive la pleine lune, je vois de nombreux lotus.
219 Je distingue le canal et les deux berges.
220 A la proue et à la poupe, nous poussons à l’aide de la perche, et le bateau avance sur l’eau.
221 Quand la lumière du soleil apparaît, je vois toutes sortes de plantes.
222 Elles sont superbes à regarder, et elles répandent délicatement leur pollen.
223 J’aperçois des lotus bien saillants au bord du chenal.
224 Des goémons se chevauchent et poussent des algues sous l’eau.
225 Des lianes s’entremêlent à des champignons d’eau,
226 En bouquets, tant à gauche qu’à droite.
227 Les châtaignes d’eau, les laitues et les fleurs de lotus, bien fleuries,
228 Sont nombreuses, et paraissent blanches comme des étoiles qui scintillent.
229 Oh ! Si une femme pouvait voir cela,
230 Elle voudrait flâner au milieu de ces champs, à son gré,
231 Et arracherait des tiges de lotus et des ottélies;
232 Quant à moi, si j’avais une compagne,
233 Je ne m’attarderais pas pour lui cueillir une fleur.
234 J’ordonnerais probablement au disciple qui m’accompagne
235 D’aller chercher ces fleurs et de lui offrir ; je suis si démuni.
236 Mais voilà, je suis pauvre, je n’ai pas un rond.
237 Je suis trop paresseux pour pouvoir les cueillir ; aussi je poursuis mon chemin.
238 Quand la lumière du Soleil pâlit,
239 J’atteins le district de l’Ancienne Cité et ma tristesse s’accroît.
240 J’arrive à l’embarcadère qui se trouve devant la Résidence du gouverneur.
241 En pensant au temps jadis, mes larmes coulent.
242 J’irais lui rendre visite s’il était, comme autrefois, le Phra Chamoen Wai.
243 Il m’inviterait dans sa Résidence.
244 Mais aujourd’hui, en ces temps difficiles, s’il avait changé,
245 Mon cœur ne se serait-il pas brisé sous ses moqueries ?
246 Je suis pareil à un pauvre malheureux qui vise trop haut, ce n’est pas convenable.
247 Et il me faudrait revenir grandement honteux.
248 J’amarre le bateau à l’embarcadère qui se trouve devant le Temple du Mont Meru.
249 Au bord du temple, des embarcations sont alignées parallèlement.
250 Dans certaines d’entre elles, montant et descendant au gré du courant, on chante des lam en s’amusant gaiement,
251 Et on se fait la cour en chantant à tue-tête.
252 Dans d’autres, on rend hommage aux étoffes en récitant des sepha.
253 Et on joue du xylophone avec virtuosité à la manière du maître Seng.
254 Des rangées de lanternes brillent comme à Sampheng.
255 Ayant été en période d’austérité, je n’ai guère eu l’occasion de pouvoir les regarder.
256 Dans un bateau, quelqu’un récite quelques vers.
257 C’est trop long, cela traîne, si bien que mes oreilles se fatiguent.
258 Cela n’en finit pas, les vers s’enroulent à la manière d’un serpent,
259 Au point que les accompagnateurs sont fatigués, et disent qu’ils tombent de sommeil.
260 J’écoute, à côté du temple, ces multiples divertissements
261 Jusqu’à ce que le calme revienne ; après quoi, je m’endors sur mon oreiller.
262 Aux environs de la troisième veille, alors que le ciel s’est assombri,
263 Un maudit voleur s’introduit soudainement pour cambrioler notre bateau.
264 L’embarcation s’incline avec un bruit de clapotis ; je me lève et pousse un cri.
265 Le voleur plonge dans l’eau à toute à toute allure et disparaît.
266 Je ne vois pas le visage de mon disciple habituellement proche de moi.
267 Il est pareil à une bête stupide et maladroite.
268 Mais le petit Phat allume une bougie pour éclairer.
269 Je n’ai perdu aucun de mes huit accessoires.
270 C’est parce que j’ai fait pénitence que j’acquis des mérites, et grâce aussi au Bouddha.
271 Que j’ai pu triompher de ce voleur, selon ma volonté.
272 A l’aube, c’est un jour Saint qui commence :
273 Nous rendons hommage à la Loi et faisons des offrandes.
274 Je me rends au Stûpa de la montagne dorée.
275 Il est si haut qu’il semble flotter dans les cieux.
276 Il trône au milieu des champs, resplendissant, isolé et bien visible.
277 Un bateau navigue bien dans ces eaux limpides.
278 Dans la cour, au pied de l’escalier, se trouve un soubassement en forme de lotus
279 Qui est entouré d’un fossé d’eau.
280 Un stûpa et un sanctuaire se trouvent sur l’aire du temple,
281 Lequel est encerclé par un mur.
282 Le stûpa est bâti en pointe, par degrés superposés.
283 Il comporte trois étages formant terrasses. Quelle majesté ! Quelle beauté !
284 Il y a un escalier sur chacun des quatre côtés. Quel ravissement !
285 Chacun de nous, saisi d’admiration, s’encourage à monter au troisième étage.
286 Nous effectuons une circumambulation autour de l’édifice en méditant avec application.
287 Nous faisons trois tours et nous nous prosternons.
288 Il y a une crypte dans laquelle on a allumé des bougies en guise d’offrandes
289 Parce que le Vent souffle en tournoyant autour
290 Il effectue une circumambulation ! C’est merveilleux !
291 Mais aujourd’hui, ce stûpa est très vieux.
292 L’ensemble de l’édifice, depuis sa base, est fissuré en neuf endroits.
293 Il a été négligé et il se fend ; son sommet s’est détaché et s’est cassé
294 Oh ! Stûpa construit puis délaissé !
295 C’est vraiment regrettable ! En y pensant, mes larmes sont prêtes à couler.
296 De la même façon, notre renommée et notre honneur
297 Ne disparaîtront-ils pas durant notre existence ?
298 Certaines nobles personnes sont très riches et puis s’appauvrissent
299 Je pense que tout est impermanent.
300 J’implore le Vénérable Stûpa de la Montagne Dorée
301 Qui fut bâti pour contenir les reliques de Bouddha.
302 J’ai fait l’effort de venir lui rendre hommage.
303 J’en retirerai de nombreuses conséquences bénéfiques pour ma personne.
304 Quelle que soit la condition dans laquelle je renaîtrai parmi les hommes,
305 Faites que je sois pur et serein, conformément à mon intention,
306 Que ne je ne connaisse ni la douleur, ni la tristesse, ni les maladies, ni les dangers,
307 Et que je sois très heureux avec mes proches.
308 Quant à la cupidité, la colère et l’égarement,
309 Faites qu’ils ne puissent vaincre mon esprit.
310 Faites que je sois pourvu d’une grande sagesse,
311 Et que les Préceptes soient ancrés en moi.
312 Encore deux choses, les mauvaises femmes et les mauvais hommes :
313 Faites que je ne m’éprenne pas d’eux.
314 Faites que je réalise mon espérance et mon but : arriver à l’Illumination Suprême
315 Et atteindre le Nirvana dans le futur, pour toujours.
316 Lorsque je salue le Bouddha, je remarque un lotus
317 Et une Sainte Relique conservée dans le pollen de cette fleur.
318 Je suis heureux ; je la salue.
319 Je cueille le lotus et le porte jusqu’au bateau.
320 Après que le petit Phat et moi avons rendu hommage à la sainte Relique,
321 Je mets le lotus dans une bouteille de verre que je place près de ma tête.
322 Puis je vais dormir en ville, avec l’intention de lui rendre hommage le lendemain.
323 Mais je ne l’aperçois plus; je suffoque et ressens une grande frayeur.
324 Je regrette vraiment la disparition de cette Sainte Relique que je comptais admirer.
325 Mon cœur se brise en y pensant, et mes larmes se mettent à couler.
326 Oh ! Quelle malchance, le lotus a disparu.
327 Je déplore cette perte; je suis sur le point de mourir en me tordant de douleur.
328 Je ne puis rester à regarder autre chose, je ne puis surmonter mon chagrin.
329 Et ma maladie et mon angoisse empirent à force d’y penser.
330 Dès l’aurore, le soleil rayonne, puis monte et scintille avec éclat,
331 Ce qui nous permet, en descendant le courant du fleuve, d’arriver à la capitale en un jour.
332 Nous nous amarrons à l’embarcadère devant le temple de l’Aube, monastère royal.
333 Peu à peu, en observant les préceptes du Bouddha, mon état s’améliore.
334 Ce nirat au sujet de notre Ancienne Cité,
335 Je l’offre au plaisir du lecteur.
336 Aller rendre hommage à la statue du Bouddha,
337 Au Stûpa et à la sainte Relique de notre Religion,
338 C’est l’usage, et c’est comme si j’avais répandu la foi
339 En me servant du verbe; je ne me sens pas bien, mais cela m’a apaisé.
340 Il n’y a ni bien-aimées
341 Ni de personnes chères dont je suis séparé.
342 Quant à ces longues complaintes, feintes,
343 Elles sont conformes à l’ancienne tradition poétique.
344 Je procède comme une cuisinière qui, lorsqu’elle prépare des ragoûts ou des plats épicés frits,
345 Met toutes sortes de condiments pour assaisonner les viandes.
346 Les femmes sont pareilles à du poivre et à la feuille de coriandre :
347 Il faut en saupoudrer un peu pour que ce soit agréable.
348 Sachez que la vérité sur toutes ces choses.
349 N’allez point me dénigrer, me railler ou me soupçonner :
350 Un poète qui dort sans rien faire se trouve bien affligé.
351 C’est pourquoi j’ai écrit ce nirat pour vous divertir.
Dessins de เดชาชาดี เทียนเสม - "คำร้อยครอง" 2547. ISBN 974 08 4635 1 :
et de สหคม พงค์เจตน์พงศ์ - "พระบาทสมเด็จ พระพุทธเลิศหลานภาลัย" 2552. ISBN 978 974 07 1975 8 :
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