" Dictionnaire insolite de Thaïlande"
C’est un petit livre écrit par Jean Baffie, pour nous, l’un des meilleurs connaisseurs de la Thaïlande, et Thanida Boonwanno.*Un petit livre de 173 articles quand même, divers et variés, divisé en 7 chapitres : Savoir-vivre. Au quotidien. Cuisine. Passions thaïes. Croyances, fêtes et religions. Tourisme. Modernité. Il constitue une bonne introduction à la « connaissance » de la Thaïlande avec l’ambition affichée d’éviter les stéréotypes, de nous « révéler » « un autre visage du pays ». « La capitale n’est pas la Thaïlande profonde : 65 % de ses habitants vivent dans la campagne, où rien de l’antique Siam n’a vraiment changé ». Une campagne donc où, disent-ils « on se laisse aller au sanuk, cette joie de vivre qui semble envelopper d’insouciance la vie quotidienne ».
Il semble en effet, car nos articles sur l’Isan ont montré, au contraire, les changements et les forces contradictoires** qui y opèrent, pour ne pas trop croire à ce « stéréotype » de l’antique Siam. Ce sera notre principal reproche, surtout qu’aucun chapitre spécifique n’est consacré à « cet autre visage ». De même, « l’insolite » annoncé par le titre ne semble pas ce qui a été recherché, bien que certaines acceptions du mot comme « inhabituel, bizarre, anormal, inaccoutumé, extraordinaire, singulier, saugrenu, paradoxal, incroyable, curieux, incompréhensible, étonnant, étrange, surprenant », peuvent en qualifier certains articles.
Evitez les stéréotypes, donc. Ils sont inévitables, mais tout dépend de la manière de les aborder. Vous ne serez pas déçu en découvrant (ou retrouvant ) les « classiques » comme « le sourire siamois», « les massages », « le pont de la rivière Kwai », « la boxe thaïe », « la prostitution », le « farang », le « mai pen raï »,
les gestes à proscrire (pointer du doigt, pointer du pied ), « la face », « la corruption », « le marché flottant », « les khlongs », les fêtes avec « Songkran » et « Loi Kratong », « les tuk-tuk », « la Maison des Esprits » … etc.
Le « dictionnaire insolite » commence donc avec le « Savoir-vivre ».
On ne peut y échapper. Chacun se souvient au premier voyage des gestes à faire ou à proscrire qu’un ami (ou un guide) lui a appris ( appeler quelqu’un de la main, courber le dos, pointer du doigt, du pied, s’asseoir, le waï …). Ils constituent la première « initiation ». Le « farang » (mot expliqué) apprend ainsi qu’il arrive dans une autre culture avec ses codes qu’il doit respecter. Le chapitre aborde aussi certaines expressions populaires (« Kreng chai », « mai pen rai ») qui expriment une façon d’être, des « valeurs ». Il nous invite à nous méfier du slogan « Thaïlande, pays du sourire » en sachant interpréter les multiples significations de ce célèbre « sourire ». Le « dictionnaire » contrairement aux guides n’a pas la langue de bois et ne se veut pas « idéologique » (comme le livre Les Liens qui unissent les Thaïs, Coutumes et culture, de Pornpimol Senawong** ) ; aussi n’hésite-t-il pas à donner le sens second de certaines expressions comme par exemple de « thong thiao et pai thiao » » « -qui ont surtout le sens de voyager pour le plaisir-signifient aussi visiter les quartiers de distraction nocturnes », bref les « filles tarifées» et les massages coquins. Il note aussi les changements « tout change aujourd’hui dans la société thaïe et l’influence de l’Occident, et surtout du japon et de la Corée, arrive via la télévision ou internet. On peut maintenant voir sans gêne des adolescents se tenir par la main ».
Le second chapitre « Au quotidien » est un chapitre « fourre-tout » qui permet ainsi d’aborder en 34 articles des sujets aussi divers que les moyens de transport les plus divers (bateau-taxi, tuk-tuk, métro, taxi-meter et collectifs …), les chants de Bangkok et de la rizière, la corruption et les parrains (Chao Pho), que les couleurs de la semaine , les uniformes, le sarongs thai, la chemise mo hom, le tissu à carreaux et la soie, les marchés périodiques (talat nat) et les marchands ambulants… etc.
On y trouve même la définition de « la face (na) », (que nous aurions mis dans le chapitre du « savoir-vivre »), qui certes, comme ils le disent, n’est pas facile à expliquer, et qui est pourtant essentiel pour comprendre le fonctionnement de la société thaïlandaise, très codifiée, et le comportement des Thaïlandais dans de multiples circonstances.
Le troisième chapitre est consacré à la cuisine.
Ce chapitre peut décevoir en évoquant en seulement 16 articles, les plats typiques (le phat thai, la salade du som tham, la célèbre soupe épicée tom yam kung accompagnée du fameux riz thai au jasmin ou du riz gluant du Nord-Est), les ingrédients et les sauces les plus connues (nam prik pla thu, phrik khi nu, la pâte de crevette la sauce de poisson nam pla) et les boissons (la bière Singha, le lait de coco, le mékong, le red Bull), sans oublier le fameux fruit durion, agréable pour beaucoup, repoussant pour d’autres.
Mais il est vrai que le chapitre est le plus souvent prétexte à raconter une origine, une histoire, et non un art culinaire. Le 1er article « A table » précise les différentes « manières de table », quelques us, selon les régions et les classes sociales, sachant qu’ « A la campagne ou dans les quartiers populaires des villes, le repas n’est pas une affaire importante. Chacun mange, quand il a faim. »
Le titre du quatrième chapitre « Passions thaïes » est plus original et évidemment jamais traité en tant que tel dans les guides. Il faut sortir des sentiers battus, oser évoquer les travers d’un peuple, ses goûts, ses « superstitions », ses mauvaises « valeurs », ses défauts ( ?), une espèce de carte de Tendre où seraient représentés 27 « passions »*** ?
La lecture des 27 articles ne dévoilent pas toutefois 27 passions puisque sont évoqués l’histoire des frères siamois, les chats siamois, le litige à propos du temple de Phreah Vihear, mais sans la passion du nationalisme qu’il déchaine, et surtout l’article « nouveau », qui permet de saisir que désormais la société de consommation a imposé ses valeurs, « sa passion » de la nouveauté, du dernier « objet » à la mode qu’il faut acheter, pour ne pas perdre la « face ». Toutefois nos auteurs ne seraient pas d’accord avec cette présentation puisqu’ils attribuent ces nouvelles « passions » éphémères et renouvelables au désir de nouveauté des Thaïlandais : « Les Thaïlandais aiment la nouveauté. » ! Tous ?
Quoiqu’ il en soit de l’origine attribuée à la passion des « nouveaux objets » le chapitre semble exprimer que les jeunes de Bangkok et des grandes villes, sont le moteur du changement avec leur téléphone portable et facebook, la chirurgie esthétique et leur désir de blancheur, leur goût affiché pour la musique pop japonaise et coréenne et leur nouvelle manière de vivre leur vie sentimentale (Cf . ce que représente le « kik ». Vous connaissez ?)
Certes demeurent le respect dû au roi (mais ici curieusement évoqué seulement du point de vue politique), l’astrologie, les amulettes (Chatuham ramathep fever), la Benz comme « symbole absolue de la réussite sociale », la loterie, ou pèle mêle, le goût pour les cascades, les orchidées, le takro (jeu d’ adresse), les cabarets, les karaoké, les proverbes ...etc.
Evidemment, on ne peut pas présenter la Thaïlande sans évoquer les pagodes, les maisons des esprits, les bonzes que l’on voit partout, le bouddhisme et les croyances, et les principales fêtes religieuses (Loi Khrathong,Songkran et le nouvel An chinois).
Le 5 ème chapitre intitulé « Croyances, fêtes et religions » va traiter ces sujets, ainsi que d’autres plus méconnus ( comme Kuan Im (déesse ), le figuier sacré, le lak mueang, le phraya Nak (serpent mythique à plusieurs têtes), le poteau fondateur des villes, le Nuea khu (le partenaire idéal qui vous est destiné) … ainsi que de nombreuses formes d’art populaires et/ou religieuses, comme le khon, le like, le manora et le théâtre d’ombres spécifiques du sud, la danse du ram thaïe … en 21 articles.
On apprendra énormément dans ce chapitre très documenté et si essentiel pour comprendre « l’esprit » thaïlandais. Nous avions montré dans notre blog comment « le bouddhisme marque profondément l’espace et le temps, la vie de chaque Thaïlandais. Il n’est donc pas inutile d’en savoir un peu plus sur cette « religion » qui donne sens aux pensées, aux moeurs et usages, au calendrier et aux fêtes, au mode de vie, au quotidien des Thaïlandais » ainsi que l’animisme, et pourrait-on rajouter, le « veau d’or » de la consommation. ****.
Le 6ème chapitre consacré au tourisme est ici présenté avec originalité.
Les auteurs ont optés pour 29 sites à visiter, à contempler, ou à parcourir…
Il y en d’autres, ils ont choisi ceux-là. On peut trouver aussi bien les « classiques » temples et quartiers chauds de Bangkok, qu’un fleuve (le Chao Phraya), une gare, un marché, un aéroport, une fête (la full moon party),
deux îles (Ko Samui, Phuket), une rue (Sukhumvit), une place ( Sanam Luang), un quartier (le quartier chinois de Yaowarat), une ville ( Pai), un district (Chiang Khan dans la province de Loei) … etc. Et « notre » Isan …
Ces articles, vous l’aurez compris, sont plus que « touristiques » et ont marqués l’histoire de ce pays. Nous avons souvent une présentation avec ses étapes historiques et les « détails » qui donnent de l’intérêt et du piment aux différents articles (dates, chiffres, évolution, critiques …).Vous apprendrez à chaque fois, même si vous pensez connaître la Thaïlande. Et le dernier et septième chapitre intitulé « Modernité ».(30 articles)
Ce chapitre, loin de proposer une lecture de la Thaïlande moderne, offre avant tout, des articles politiques (8 articles) décrivant la « démocratie de « style » thaï » « avec le rôle qu’y tient le roi de Thaïlande et son Conseil privé », avec ses 18 « Coup(s) d’Etat », dont « onze ont été couronnés de succès », une « pratique, disent-ils, (qui) fait partie intégrante de la culture militaire thaïlandaise », si bien qu’ « on apprend parfois que trois ou quatre coups d’Etat sont préparés au même moment ». Le chapitre va d’ailleurs présenter l’ancien premier ministre « Thaksin Shinawatra », « renversé par l’armée en septembre 2006 », et les forces qui l’ont soutenu et combattu ensuite, comme les « chemises jaunes » et « les chemises rouges », ainsi que le rôle supposé qu’auraient joué les conseillers du roi (article « bureaucratie » ), animés, entre autre, par leur désir de défendre la « philosophie » économique du roi basée sur la notion d’ « économie de suffisance », « fondement au Dixième plan de développement (2007-2011), défendu par « le général Surayud Chulanont installé par l’ armée en septembre 2006 ».
On retrouve donc en peu d’articles les mots clés pour avoir un aperçu sur la situation politique du pays. Jean Baffie fait œuvre ici de pédagogie, lui, qui nous a déjà donné de nombreuses clés pour comprendre la complexité de la politique thaïlandaise. (Cf. son article « Une « démocratie » entre populisme et défiance envers le peuple : La politique en Thaïlande depuis la Seconde Guerre mondiale »*****).
Une situation politique vécue de manière différente selon que l’on est Hi-so (high Society) ou Lo-so (low society) (expliqués dans deux autres articles), et que l’on adopte le Mo-so (« habitude de vie qui consiste à consommer modérément » ou le consumérisme et la recherche effrénée du dernier « objet » à la mode, présentés par les pretty, ces magnifiques jeunes filles hyper maquillées et aux courtes jupes qui présentent les « objets de luxe » dans les salons d’exposition ou dans les grands magasins.
Cette addiction aux nouveaux produits de luxe entraine de plus en plus « des étudiantes, voire des lycéennes, des employés de bureau, ou de manière plus attendue, des coyotes et des pretty » à devenir des sideline des « prostituées occasionnelles ».
Est-ce le nouveau visage de la modernité thaïlandaise ? surtout que demeure cette particularité thaïlandaise (aussi présente d’ailleurs dans de nombreux pays d’Asie) de montrer sa réussite en entretenant une mia noï (petite femme). Le phénomène est assez répandu disent nos auteurs puisqu’ « en 2001, 25% des Thaïlandais avaient une mia noï. »
Modernite ? Cette prostitution qui, contrairement aux idées reçues, est surtout le fait « de clients thaïs et sino-thaïs ». Modernité ? tous ces motels (rongraem manrut), ces « Hôtels où l’on tire les rideaux, selon l’étymologie thaïe, (sont) très nombreux dans les villes de Thaïlande », « où se rendent les couples illégitimes, les prostituées et leurs clients ».
Modernité ? le pae chia, ce « mot chinois utilisé pour désigner surtout les dessous-de-table (de 2000 à 5000 euros en moyenne ) qu’une famille doit payer pour inscrire ses enfants dans les écoles les plus cotées. »
Il faut avouer, qu’en majorité les articles de ce chapitre donnent une image peu flatteuse de la société thaïlandaise « moderne », même si d’autres « réalités » sont expliquées et encore n’avons- nous pas encore évoqué cette drogue qui fait des ravages (cF. article ya ba).(Cf. en note les titres des autres articles ******).
On semble avoir oublié la promesse de « révéler » « un autre visage du pays ».Aucun article particulier n’est consacré aux villages ruraux, où pourtant, avaient-ils dit, vivent 65 % des Thaïlandais.
Mais ce « dictionnaire insolite » vous apprendra les multiples facettes de cette société thaïlandaise que nos deux auteurs Jean Baffie et Thanida Boonwanno. connaissent bien.
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* Jean Baffie et Thanida Boonwanno, « Dictionnaire insolite de la Thaïlande », Cosmopole, diffusions Marcus, Paris, 2011.
Thanida Boonwanno, doctorante en anthropologie à l’Institut de Recherche sur le Sud-Est Asiatique (CNRS- Université de Provence).
** Nos auteurs citent pourtant, dans la bibliographie : « Suddham Pira, Terre de mousson, éd. Philippe Picquier. Un roman d’apprentissage qui relate les péripéties cruelles du déchirement entre tensions de la modernité et valeurs traditionnelles. »
**.CF. notre critique de ce livre dans notre blog in http://www.alainbernardenthailande.com/18-categorie-11719711.html
***astrologie, beauté , blancheur de la peau, benz (Mercedes Benz), Bhumipol Adulyadej (le roi), cabaret show, cascades, cerfs-volants, chats siamois, Chatuham ramathep fever (amulettes), chirurgie esthétique, combats de coqs, combats de poissons, éléphant, facebook et le téléphone portable, fêtes des mères et des pères, frères siamois, J-Pop fever (musique pop japonaise), K-Pop fever (musique pop coréenne), karaoké, kik « la vie sentimentale » des adolescents, loterie, nouveau, orchidée, panda fever, proverbes, takro (jeu d’adresse), temple de Phreah Vihear.
****Cf. nos 2 articles sur le bouddhisme.
http://www.alainbernardenthailande.com/article-22-notre-isan-bouddhiste-ou-animiste-78694708.html
http://www.alainbernardenthailande.com/article-20-le-bouddhisme-thailandais-et-d-isan-78694128.html
***** Cf. un excellent article de Jean Baffie, « Une « démocratie » entre populisme et défiance envers le peuple : La politique en Thaïlande depuis la Seconde Guerre mondiale » nous donne quelques clés (in Thaïlande contemporaine)
Article dont nous avons rendu- compte dans notre blog, in « A 50. Clés pour comprendre la politique en Thaïlande. »
Il est bien entendu que cet article de 60 pages (p.139-p.200) propose une analyse de fond et dépasse infiniment les quelques clés que j’ai cru déceler. Si vous suivez notre blog, vous savez déjà ce que nous devons à l’IRASEC et à J. Ivanoff et J. Baffie en particulier, dans la compréhension de la Thaïlande. http://www.irasec.com/component/irasec/?task=article_detail&articleid=1
http://www.irasec.com/index.php?option=com_irasec&task=document_listing
****** Bayok Tower 2, cinéma, Emmanuelle, grands magasins, madame Tussauds, métis, Pattaya Music Festival, presse et magazines, samu thailandais : compagnies chinoises, tsunami 2004
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Bibliographie de Jean BAFFIE
http://sites.univ-provence.fr/irsea/IMG/pdf/Baffie_publi.pdf
Ouvrages
1990 Catalogue du fonds d’ouvrages d’orientalisme de l’ambassade de France à Bangkok Bangkok. Editions des Cahiers de France. 223 p.
1990 Edition, présentation, note, bibliographie de L’Espace Social/Raya thang sangkhom de Georges Condominas, Bangkok. Editions des Cahiers de France, bilingue français-thaï, 65 p.
2003 « Les mots de la ville thaïe (trois études » [« Mueang, Krung, Nakhon, Thani et les autres. A propos des noms désignant la ville en langue thaïe », « les termes et expressions thaïes traduisant l’idée de slum, taudis et bidonville », « essai de polinymie : l’étymologie des noms de villes de la région Sud de la Thaïlande »] Les Cahiers de l’IRSEA n°1, février, ii + 63 p.
2008 Femmes prostituées dans le sud de la Thaïlande, Bangkok, IRASEC, « Occasional paper » n°6, 63 p.
http://www.irasec.com/fr/publications_detail.php?hId=94
2010 The Trade in Human Beings for Sex. A General Statement on Prostitution and Trafficked Women and Children within Continental Southeast Asia , IRASEC et White Lotus, Bangkok., (avec P. Le Roux et G. Beullier), 488 p.
2011 Dictionnaire Insolite de la Thaïlande (avec T. Boonvanno) Paris. Cosmopole, (avec Thanida Boonwanno) env. 180 p.
(à paraître) Sex for Money in Southeast Asia. Multidisciplinarity Approaches in the Southeast Asian Context ouvrage collectif.. Bangkok. White Lotus (avec L. Husson, CNRS)
(à paraître) Les Chinois du Viêt Nam. Hier et aujourd’hui Paris-Bangkok. IRASEC-Les Indes Savantes. (avec M. Dolinski, Université de Provence) ; introduction et traduction de diverses contributions, IRASEC, Les Indes Savantes, Paris-
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